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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

de la Melpomène antique. Certes ce n’est pas dans le même moule qu’ont été jetés Prométhée, les Perses, les Euménides, Œdipe, Médée, Alceste. Ces chefs-d’œuvre ont été construits d’après certaines lois identiques, les lois immuables du beau et du goût ; mais combien les applications de ces lois sont variées ! Si toutes ces œuvres ont un air de famille, en même temps chacune présente une physionomie bien distincte.

…Facies non omnibus una,
Nec diversa tamen
.

Ainsi sont les colonnes des temples ioniens, et sur ce point délicat, comme sur beaucoup d’autres, l’art des Grecs est un excellent commentaire de leur poésie. Nous nous éloignâmes à regret de cette belle ruine, pour aller rafraîchir nos lèvres dans l’eau du Pactole, qui coule au pied du temple. Le Pactole, que Sophocle appelle grand, ce qui prouve qu’il n’était pas venu à Sardes, est un ruisseau. A-t-il jamais roulé de l’or dans ses ondes ? Le fait n’est point impossible ; Strabon parle d’anciennes mines d’or dans le Tmolus ; mais comme, d’après son témoignage, elles n’existaient déjà plus de son temps, il est fort possible que le Pactole ait dû sa renommée de fleuve aurifère au mica qu’il détache de la montagne et qui scintille dans le sable de son lit ; celui que nous observâmes était plutôt argenté que doré ; mais, dans la montagne, j’avais vu des paillettes qui imitaient assez bien les reflets de l’or. Peut-être cette circonstance géologique a-t-elle fait illusion aux anciens, et la réputation proverbiale du Pactole est-elle une réputation usurpée.

Après avoir vu Éphèse, Magnésie, franchi le Tmolus, gravi l’acropole de Sardes et bu les eaux du Pactole, qui, je le crains bien, ne nous feront pas plus riches, il ne nous restait plus qu’à regagner Smyrne, si nous voulions ne pas manquer le bateau de Constantinople et retrouver nos compagnons de voyage, M. Lenormant dont nous avions regretté souvent le coup d’œil et le savoir, et son docte collaborateur M. de Witte. C’est ce que nous fîmes en grande diligence. Nous revîmes ces campagnes enchantées qu’arrose le Mélès, ces bois de grenadiers d’un aspect élyséen, qui rappellent les bois d’orangers de Sorrente ; nous saluâmes de nouveau l’admirable rade de Smyrne, magnifique berceau d’Homère.


Jean-Jacques Ampère.