Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
184
REVUE DES DEUX MONDES.

Après avoir curieusement visité les murs de l’acropole, nous descendîmes dans la plaine, et nous nous acheminâmes de ravin en ravin vers les ruines du temple de Cybèle. Nous n’y arrivâmes point sans avoir à soutenir un assaut vigoureux de la part de cinq ou six chiens turcomans qui paraissaient les garder. Ces grands chiens blancs, à demi sauvages comme les nomades leurs maîtres, s’élancèrent tout à coup sur nous de différens côtés. La vue d’un pistolet dirigé sur eux ne les arrêta point, mais fit accourir les femmes des Turcomans, qui nous en délivrèrent. Le chien du moulin où nous avions passé la nuit, avec un sentiment remarquable des devoirs de l’hospitalité et un courage héroïque, n’avait pas hésité à se précipiter vaillamment dans la mêlée pour nous défendre. Mais que pouvait-il contre six ? Nous entendîmes ses cris, et ne le vîmes plus reparaître.

Enfin nous arrivâmes au temple. Les deux colonnes qui sont debout et les nombreux débris gisans à terre offrent un type achevé de l’ordre ionique ancien. Rien n’est plus simple et plus beau que le contour des volutes, dont les gracieuses spirales s’enroulent aux deux côtés d’un chapiteau ionique. On dirait un vers d’Homère. Mérimée, tout en les dessinant, me faisait remarquer les plus fines beautés de l’architecture grecque, dont il a un sentiment exquis. Et moi, toujours occupé à chercher dans l’art antique une traduction de la merveilleuse poésie des Grecs, j’aimais à retrouver les procédés de l’un dans les secrets de l’autre ; si mon ami m’indiquait comme un signe de la perfection des ornemens l’alternance de surfaces planes considérables et de saillies très vives et très minces, ou de saillies développées et de plans peu étendus, je me disais : c’est ainsi que, par des contrastes habilement ménagés, les anciens savaient produire dans le style le relief et la saillie. Dans les littératures dégénérées comme dans l’architecture de la décadence, ces proportions délicates n’existent plus ; tout est à peu près également plane, et de là naît la platitude, ou bien l’on veut tout mettre en saillie, et on manque l’effet pour l’avoir trop cherché. S’il attirait mon attention sur la diversité d’ornementation de chaque chapiteau, dont pas un ne ressemblait complètement à l’autre, dans le temple de Cybèle à Sardes, aussi bien que dans le temple de Diane à Magnésie, je retrouvais là cette liberté du génie grec, qui ne détruisait point l’unité, mais produisait une harmonie vivante au lieu d’une harmonie morte, et mettait la richesse où les imitateurs ont mis la stérilité. Rien de plus différent, par exemple, de la symétrie monotone à laquelle certains critiques, qui se croyaient disciples des Grecs, ont voulu asservir la tragédie, que la diversité des produits