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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

teurs qui dominent la ville, pour jouir d’un beau coucher de soleil de plus. Ces hauteurs verdoyantes me rappelaient celles de Capo di Monte, au-dessus de Naples. Nous n’y arrivâmes pas sans nous être perdus dans les rues escarpées et tortueuses qui y conduisent, et sans être entrés deux ou trois fois, par mégarde, dans des maisons turques dont les femmes poussaient des cris aigus et nous adressaient par la fenêtre, d’un ton fort animé, des reproches probablement très vifs, et que nos intentions étaient loin de mériter.

Enfin nous échappâmes à ce labyrinthe, et la ville nous apparut dans une teinte rose, tandis que le piton du Tmolus s’enveloppait de brumes sombres et enflammées. Pendant que Mérimée prenait un croquis de ce panorama sublime, un officier turc qui passait s’arrêta, et m’adressa quelques paroles dans lesquelles je ne pus distinguer que le mot capitaine, à cause de mon ruban rouge, et Moscov. Probablement il nous prenait pour des ingénieurs russes occupés à lever le plan du pays. La Russie est une préoccupation et une inquiétude perpétuelle pour tous les Turcs doués de quelque prévoyance.

Après avoir vu le matin l’intérieur d’un simple raya, nous devions, dans la soirée, voir l’intérieur de la première maison turque du pays. Un des chevaux que nous avions loués à Smyrne, et qui au moment du départ était évidemment hors d’état de faire le voyage, se trouvait maintenant tout-à-fait incapable de marcher. Nous voulions obtenir du gouverneur une attestation qui témoignât de cette incapacité, pour nous en servir, à notre retour, contre le loueur de chevaux qui nous avait trompés. Dans ce but, nous demandâmes une audience, qui nous fut accordée pour le soir : elle nous donna l’occasion de voir ce qu’on pourrait appeler une préfecture turque. La cour était illuminée par un morceau de bois de sapin qui brûlait au milieu. Une foule d’hommes attachés au service public remplissaient une galerie extérieure. Nous traversâmes cette multitude et nous arrivâmes dans le salon de réception du gouverneur. Il était assis, non pas sur un divan, mais plus bas, sur des coussins, dans le costume turc. Nous étions sur des chaises à l’européenne ; de grands flambeaux posés à terre et portant des chandelles nous éclairaient ; le mouselim nous donna l’attestation que nous demandions, et fut fort gracieux ; seulement la pensée de la Russie l’obsédait. Il nous demanda si nous ne passerions pas par Saint-Pétersbourg. Du reste, je ne pourrais vous donner une idée fort nette de notre conversation, qui se faisait par l’intermédiaire de Marchand. Je soupçonne celui-ci d’avoir mis du sien dans les discours du gouverneur ; quant à nous, évidemment il nous faisait parler, car, quand nous le chargions de