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REVUE DES DEUX MONDES.

« On distingue aisément d’en bas la marche, la course, la lutte, les évolutions de tous ces animaux, les empreintes de leurs pas, jusqu’à leurs formes ; et lorsque le drap s’use un peu, quelque énorme patte égarée, la queue verte d’un lézard qui se fait jour à travers l’ouverture, ou même le corps tout entier d’un vis copra, vous apparaissent et tombent sur votre tête. Plus la nuit avance, plus le tumulte s’accroît, plus vos oreilles sont blessées, et votre repos impossible. Les moineaux qui dormaient sous la projection extérieure du toit s’éveillent, battent des ailes et prennent leur vol avec des cris bruyans. L’armée des insectes, plus nombreuse et plus puissante que partout ailleurs, poursuit son concert nocturne avec une vigueur sans pareille. D’innombrables crapauds se chargent des basses ; le second dessus est abandonné aux grillons, qui crient comme des hautbois ; à peine distingue-t-on le cornet à bouquin des moustiques, et le frémissement vague des rats à musc semble jouer des arpèges de clarinette. Chacun de ces êtres paraît prendre plaisir au bruit qu’il cause et rivalise avec ses confrères. Les Hindous eux-mêmes ne prononcent pas une parole qu’ils ne la crient, et, comme ils choisissent fort spirituellement le jour pour dormir, ils deviennent pendant la nuit aussi exagérés dans leurs clameurs que les bêtes du pays. Les routes sont alors couvertes de bandes qui chantent, dansent et causent aussi haut que possible, et pendant les époques de solennités religieuses les vociférations populaires sont soutenues par mille espèces d’instrumens sauvages qui beuglent dans tous les tons, gongs d’airain, clochettes, sonnettes, tambours, trompettes de six pieds de long.

Cette surabondance de vie, de bruit, de force, de puissance, de lumière, produit le jour des effets moins déplaisans. Dès le matin, vous voyez s’approcher de vous et voltiger sur votre moustiquaire des essaims de pigeons bruns à la poitrine violette et puce, et le pigeon vert, le geai bleu foncé, le pic à la crête noire, tout un luxe de fleurs vivantes, pourpres, jaunes, perlées, qui tourbillonnent au-dessus de vous. Ce perpétuel gémissement, si doux et si triste, est celui des colombes, que l’on ne cesse pas d’entendre pendant la durée entière du jour. D’immenses sauterelles ailées s’élancent, le corps chargé d’émeraudes dont aucun joaillier ne possède les rivales ; des bourdons étincelans font rouler dans les airs leurs améthystes et leurs topazes ; quelques autres semblent promener un charbon rouge et allumé, d’autres un fragment de velours nacarat. Des armées de faisans, des bataillons de perroquets fuient et se dispersent au loin, en poussant des cris de terreur. L’antelope bondit et passe devant votre porte