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et je les retrouve partout, dans la nature qu’ils ont peinte, dans les monumens qu’une inspiration parente de la leur a enfantés, enfin dans mille détails de mœurs et de costumes qui se sont conservés jusqu’à nous. Je parlerai, j’espère, plus au long quelque jour de ces rapports que j’étudie constamment sur place. Pour aujourd’hui, je me borne à une profession de ma foi, ardente au beau, tel que les Grecs l’ont compris et rendu. J’en ai fini avec le moyen-âge, j’en suis à la renaissance ; et qui pourrait contempler la beauté parfaite sans l’adorer ? Ne pensez-vous pas comme moi, mon ami ? Vous, critique si délicatement inspiré, vous qui pénétrez d’un jet si rapide et si lumineux toutes les conceptions de l’esprit, tous les arcanes de la sensibilité, tous les détours de l’imagination et du cœur, je vous ai vu vous éprendre toujours plus de la beauté grecque, remonter à Homère, de Ronsard et d’André Chénier, qui après tout étaient de la famille. Continuez, mon aimable ami. Cette antiquité, que souvent des interprétations si fausses ont si lourdement travestie, livrera à vos mains ingénieuses et légères ses richesses les plus cachées, ses perles les plus exquises. L’antiquité peut se rajeunir, rapprochée de ce qui a été conçu hors d’elle, mais dans un esprit semblable au sien. Vous l’avez bien montré naguère en retrouvant si finement dans Électre la sœur aînée de Colomba.

J’étais, je crois, en extase devant le pont romain sur la route de Magnésie à Éphèse, quand l’enthousiasme du vrai classique m’a emporté ; je reviens à ce beau lieu. Avant de le quitter, je vous décrirais bien le lit du torrent dans lequel je descendis à travers des touffes de myrtes et des lauriers de trente pieds, pour m’y asseoir sous des voûtes de platanes ; mais j’aime mieux vous rappeler ce que ce ravin merveilleux me remit en mémoire, la ravissante peinture de l’Eurotas dans l’Itinéraire. Citer Châteaubriand, c’est presque citer Homère, c’est citer du moins celui des poètes modernes qui a le plus hérité de cet art de caractériser les scènes de la nature par un trait simple, juste et grand.

Tandis que nous étions plongés dans ces délicieuses contemplations, il paraît que nous faisions preuve d’un grand courage, certes bien sans nous en douter. Quand nous arrivâmes à Éphèse, vers le commencement de la nuit, Marchand, à qui nous avions fait prendre les devans avec Ahmet et les chevaux, dans la double intention de trouver le pilaw prêt et de jouir de la solitude, Marchand nous avait vus en frémissant rester, malgré ses remontrances, dans un endroit qui était, comme tant d’autres, le plus dangereux. Il en avait donné avis au poste