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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

étions plus voisins de notre patrie que lui de la sienne. Il avait un nom grec, Calogeros, et on nous le donna pour Grec, mais il s’exprimait avec beaucoup de difficulté dans cette langue. Nous lui demandâmes où il était né. Il nous répondit que son pays appartenait aux Anglais. Nous pensions mal entendre ; enfin il prononça le mot de Peschaver. Il venait en effet du Peschaver, dans le nord de l’Inde, aux frontières du Thibet. Comment un Grec était-il né au pied de l’Hymalaia ? Je songeai à ces médailles grecques trouvées dans la Bactriane et qui attestent la persistance de la civilisation hellénique portée aux extrémités de l’Asie par Alexandre. Calogeros me faisait l’effet d’une de ces médailles. Cependant je ne pense point qu’il ait l’honneur de descendre d’un Macédonien de la phalange, et j’imagine qu’il fait plutôt partie de quelques-unes de ces populations nestoriennes qui de bonne heure portèrent le christianisme aux frontières de l’Inde.

Avec ce guide venu d’un peu loin, nous nous acheminâmes vers Ineh-Bazar, où sont les ruines de Magnésie. Le chemin est très pittoresque, et suit en général des gorges boisées, à l’extrémité desquelles on débouche dans la plaine du Méandre. Le Méandre n’est point infidèle à son nom, et, vu d’une hauteur, semble un ruban d’azur que le vent ferait onduler sur le sable. Grace à ces ondulations du fleuve, la plaine est un marais ; nous le traversâmes à cheval ; il est impossible de le traverser à pied, à moins d’entrer dans la boue jusqu’aux genoux, ce qui devait m’arriver plus tard. Même après celles d’Éphèse, les ruines de Magnésie sont imposantes et ont cet avantage, qu’on les embrasse tout d’abord dans leur ensemble. La situation de Magnésie n’était pas moins belle ; de même elle s’adossait à une montagne. On suit parfaitement la ligne des murs, et l’on peut se faire une idée très nette de l’effet imposant que devait produire la cité grecque, ayant à ses pieds la plaine alors cultivée du Méandre, et en face, non pas la mer comme à Éphèse, mais un horizon d’admirables montagnes. Ici vécut dans son opulent exil ce Thémistocle, qui, à travers les ménagemens de l’histoire grecque pour le vainqueur de Salamine, me paraît avoir eu avec Xerxès, avant la bataille, des relations un peu suspectes, dont il se fit plus tard un titre auprès de lui. C’est ici qu’après avoir rempli pendant une trentaine d’années le rôle de serviteur et de favori du grand roi, il mourut volontairement pour ne pas combattre les Grecs. Les bienfaits du monarque persan, et les injustices du peuple athénien, pas plus que les eaux du Léthé, qu’on passe avant d’arriver à Magnésie, n’avaient