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Le Ramazan allait commencer ; nous lui demandâmes s’il comptait l’observer. — Quand vient le Ramazan, répondit-il, je ferme les portes et les fenêtres de ma maison pour l’empêcher d’entrer. — Il plaisantait même, de moitié avec le giaour Marchand, les musulmans plus rigides, et ceux-ci paraissaient prendre assez bien la plaisanterie. Il n’hésitait jamais non plus à boire autant de notre rhum que nous voulions bien lui en donner. Quoique mon compagnon de voyage eût soin de lui représenter quel chagrin il causait à Mahomet, il n’en tenait compte, faisait un geste pour exprimer son indifférence et celle du prophète, et ne montrait d’autre souci que de ne rien laisser au fond du verre. Dans les petites choses comme dans les grandes, dans l’irreligion rabelaisienne d’Ahmet comme dans l’aspect délabré de Constantinople, on sent en Turquie cette grande vérité : l’islamisme et les Turcs s’en vont.

On ne retrouve rien du plus célèbre monument d’Éphèse, du fameux temple de Diane ; il est même fort difficile de se faire une idée du lieu qu’il occupait. Tous les débris sont évidemment d’une époque postérieure, de l’époque romaine ; mais ces débris sont très imposans. La ville antique, étalée sur les pentes du mont Préon, d’un côté descendait dans une vallée située entre le mont Préon et le mont Coressus, et de l’autre s’avançait dans une plaine magnifique, embrassée par deux demi-cercles de belles montagnes qui s’ouvrent et laissent voir la mer. La ville tournait son front de ce côté ; l’acropole était située sur le mont Préon. De là, la plaine marécageuse et verdoyante que termine la ligne azurée de la mer se déroule dans sa majestueuse tristesse. La nature de la végétation, les troupeaux qui paissent dans les hautes herbes, la grandeur des ruines, l’étendue, la solitude, le silence, rappellent la campagne de Rome ; plus loin, quelques aqueducs aident encore à ce rapprochement involontaire. Là ne se trouvent point de ces détails élégans d’architecture qui appartiennent à la belle époque grecque. C’est un autre âge de ruines, c’est l’âge de ces vastes cités qui, après le siècle de la perfection, eurent un temps de prospérité, de richesse, de grandeur, de ces cités à la fois grecques, romaines et orientales, dans lesquelles la beauté sobre de l’art hellénique était étouffée sous le grandiose romain et sous le génie colossal de l’Orient. Elles représentent le second âge de la civilisation grecque, telle que l’avait faite Alexandre en mêlant l’Asie et l’Europe, le génie d’Athènes et celui de Babylone. Il y a ici quelque chose de Balbek et de Palmyre.

Cet âge de fusion puissante rappelle aussi le christianisme, dont les