Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/169

Cette page a été validée par deux contributeurs.
165
UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

quaires nomment tumulus, et nous traversâmes une voie antique. Du reste, rien de remarquable jusqu’à la montagne des Chèvres, au pied de laquelle coule le Caïster :

Pascentem niveos herboso flumine cygnos,

dit Virgile ; — mais nous n’y trouvâmes pas plus de cygnes que M. de Châteaubriand dans l’Eurotas. Le fleuve, assez étroit, coulait dans un lit argileux, et n’avait de poétique que son nom. Le mont des Chèvres est mieux appelé ; j’ai vu rarement une montagne si abrupte. Le château en ruines qui la domine serait inexpugnable, et produit d’en bas l’effet le plus pittoresque. Il n’y a rien de pareil sur les bords du Rhin. Marchand, qui était toujours fertile en histoires tragiques, nous assura que cet endroit avait été le plus dangereux de la contrée : il est vrai qu’il nous en dit autant de cinq ou six autres. Du reste, il paraît que le pays n’a pas toujours été aussi sûr qu’il l’est maintenant. Une heure avant d’arriver à ce terrible mont des Chèvres, je demandai quel était le nom d’une charmante fontaine qui se trouvait sur notre route. — Quan-Tchesmé, la Fontaine du Sang. — Il est vrai qu’à une centaine de pas était le Café du Bourreau, Djelat-cafenet.

Il ne reste de l’ancienne ville d’Éphèse que des ruines, et pas beaucoup plus de la ville turque d’Aia-Soluk, bâtie sur une montagne en regard d’Éphèse. Nous nous logeâmes dans une des maisons qui composent le petit hameau auquel Aia-Soluk, considérable autrefois, a été réduite. Devant notre porte était une mosquée abandonnée qu’ombragent de beaux arbres ; on y voyait quelques tombes, une jolie fontaine, et, à côté de cette fontaine, une espèce de plate-forme peu élevée, réservée pour la prière et tournée du côté de la Mecque. De pieux musulmans venaient s’y prosterner, et adresser leurs oraisons en se dirigeant vers la sainte Caaba. C’étaient ordinairement des vieillards qui se livraient à ces pratiques religieuses ; en général, il nous a semblé que la foi n’était pas très énergique chez le grand nombre. Nous n’avons presque jamais surpris le plus léger mouvement de fanatisme. On nous a assuré que si le jeûne du Ramazan s’observait extérieurement, par crainte de l’autorité, disposée à punir le scandale, il ne s’en commettait pas moins secrètement beaucoup d’infractions au rigoureux précepte qui défend, durant tout un mois, de manger, de boire ou de fumer entre le lever et le coucher du soleil. Pour Ahmet, je ne lui ai jamais vu faire sa prière ; il était trop jeune-Turquie pour observer scrupuleusement les préceptes de la loi.