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dans notre langue. Et ce que nous disons là de Calderon, il faut le dire, à plus forte raison, de Lope de Vega, de Cervantes, de Tirso de Molina, de Moreto. Il y avait donc nécessité, comme on voit, d’entreprendre une traduction nouvelle des Chefs-d’œuvre du théâtre espagnol, mais une traduction qui donnât une idée exacte du texte et qui contînt un nombre suffisamment varié d’échantillons. Un de nos écrivains les plus versés dans la connaissance de la littérature espagnole, M. Damas Hinard, n’a pas craint de se charger de cette tâche. Il l’a commencée en publiant dans la Bibliothèque d’élite deux volumes qui renferment onze drames de Calderon, dont plusieurs sont traduits par lui pour la première fois. En lisant la Maison à deux portes, la Dévotion à la Croix, le Médecin de son honneur, À outrage secret vengeance secrète, etc., les personnes qui ne connaissent le grand dramatiste espagnol que par les éloges de Schlegel et les analyses de M. de Sismondi, pourront se faire, enfin, par elles-mêmes une idée des mérites et des défauts de ce rival de Shakespeare. Au milieu de toutes les publications de pacotille qui nous inondent, nous sommes heureux d’avoir à rendre justice à un travail sérieux et vraiment littéraire comme celui-là.

Nous en dirons autant d’un curieux volume, sorti récemment des presses de l’imprimerie royale et intitulé le Pi-pa-ki, ou l’Histoire du Luth ;[1]. C’est la traduction d’un célèbre drame chinois représenté à Péking, en 1404. Nous devons cette traduction à M. Bazin aîné, habile et laborieux sinologue, qui nous a déjà donné en 1838 un Choix de Pièces de théâtres composées sous les empereurs mongols. Tous les drames chinois qu’on a traduits jusqu’à présent sont tirés du répertoire des Youen et datent de la fin du XIIIe siècle. Le Pi-pa-ki atteste les progrès que l’art dramatique a faits en Chine du XIVe au XVe siècle. Cette pièce, qui fait couler tant de larmes, est regardée encore aujourd’hui comme l’ouvrage le plus utile aux mœurs. C’est l’éloge que donne au Pi-pa-ki un de ses derniers éditeurs dans un Dialogue, que M. Bazin a eu l’heureuse idée de traduire, et qui nous offre un curieux specimen de la critique chinoise. Nous reviendrons sur cet ouvrage, qui intéresse au plus haut degré l’histoire du théâtre asiatique et celle des mœurs et des usages du céleste empire.


V. de Mars.
  1. Un vol. in-8o, chez Benjamin Duprat, rue du Cloître Saint-Benoît, no 7.