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REVUE MUSICALE.

en soit, Duprez retrouve dans la partition de M. Halévy certains élans de ses beaux jours, certaine puissance qu’on ne lui soupçonnait déjà plus. L’espèce de réserve dans laquelle il se tenait depuis deux mois a singulièrement profité à son organe, qui semble avoir reconquis pour le moment sa vigueur et sa plénitude d’autrefois. Quant à Mme Stoltz, tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’il est déplorable de voir un théâtre comme l’Académie royale de Musique s’obstiner à vouloir produire une prima donna de cette force. Tous les musiciens n’ont pas, comme M. Meyerbeer, le loisir d’attendre et de s’abstenir jusqu’à ce qu’un talent sérieux se présente. J’imagine que M. Halévy, en calculant les chances favorables au succès de son œuvre, aura cru pouvoir assez solidement compter sur le concours de Barroilhet et de Duprez, pour être en droit de se permettre d’appeler celui de Mme Stoltz. De là ce rôle de Catarina, fort adroitement conçu du reste, ce rôle sur lequel nulle responsabilité musicale ne pèse, qui disparaît complètement pendant deux actes, et dont l’importance négative se borne à donner son nom à la pièce. Jamais, on peut le dire, partie de prima donna ne fut taillée plus convenablement sur la mesure du talent de Mme Stoltz. Suivez cette musique, pas un air d’expression, pas un trait, pas une phrase liée, toujours des cantabiles, des romances, toujours des notes syllabiques où la virtuose s’étudie à ramener les cordes basses de sa voix avec une complaisance parfois bouffonne. Nous n’en voulons à personne ; ce que nous disons ici n’est point pour décourager Mme Stoltz, mais franchement elle a tort de persister dans cette fureur du premier rang. Sur une scène illustrée par Mlle Falcon et Nourrit, entre Duprez et Barroilhet, une pareille prétention chez Mme Stoltz est inadmissible, et finirait par toucher au ridicule.

À tout prendre, la renommée de M. Halévy ne peut que s’accroître par la Reine de Chypre. Nous le répétons, le mérite de cette œuvre réside tout entier dans les détails de style, dans les mille complications instrumentales dont l’auteur de la Juive et de l’Éclair a fait dès long-temps le caractère spécial et comme l’originalité de son talent. Mais, avec M. Halévy, qui s’attend à des idées ? qui lui demande aujourd’hui de l’imagination ? Un talent ne se développe que dans sa ligne. Il y en a qui du premier coup prennent l’espace, d’autres qui s’attachent au sillon. Comme travail la partition de la Reine de Chypre dépasse peut-être tout ce que M. Halévy avait écrit encore ; c’est plus minutieux, plus délicat, plus habile ; on sent davantage le goût dans la science, une sorte de naturel dans la recherche et l’application ; en un mot, et pour nous résumer, c’est l’œuvre de l’élève de M. Chérubini devenu académicien.


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