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comme partout, la France excite une vive curiosité, et elle est souvent le sujet des conversations ; mais ce n’est qu’un murmure flatteur, un écho vague et lointain, qui ne produit rien de sérieux et ne laisse aucune idée précise. L’aimable hôtesse de la maison où je demeurais, une des personnes les plus considérables de Fayal, eut l’attention de faire mettre dans ma chambre un bouquet de lis, qu’elle appelait des fleurs de juillet.

On donne fréquemment dans la ville d’Horta des soirées et des fêtes. Les réunions sont fort animées et bien supérieures à ces bals d’Anglaises qui font retentir les greniers des hôtels garnis de la place Vendôme. D’abord, si chaque femme continue à s’habiller comme c’était la mode lorsqu’elle quitta le continent, toutes ont pris des Portugaises les souliers coquets et les jolis bas de soie. De même qu’à Paris, on entremêle les valses et les quadrilles. Le galop est surtout à la mode ; c’est avec les demoiselles anglaises qu’il faut le danser : les jeunes filles portugaises ont trop de réserve et en craignent l’abandon. Ainsi, celle qui le matin était hardie à son balcon, comme le sont d’ordinaire sous le masque les personnes timides, devient au milieu du monde sérieuse et contrainte, tandis que la jeune Anglaise dispense ses sourires autour d’elle et jouit de son teint couleur de rose. Les races rapprochées par le hasard conservent leur cachet primitif. Les négocians anglais sont toujours actifs, précis, ne faisant de questions que pour atteindre un but ; les vieux Portugais racontent sans cesse, prennent des airs capables, se complaisent dans leurs histoires de gloire nationale, dans leur admiration pour la nature, et vous ennuient sans profit pour eux-mêmes. Les femmes également diffèrent plus par les sentimens et la manière d’être que par les traits et la coloration du visage. Auprès des jeunes Anglaises, gaies, pleines de santé, sûres d’elles-mêmes et comptant pour l’avenir sur leur adresse ou leur bonne étoile, on voit les Portugaises (car elles ne ressemblent en rien aux dames espagnoles) mélancoliques, concentrées, aspirant à éprouver un sentiment qu’elles redoutent, et n’ayant d’autre vie que celle du cœur. Une jeune demoiselle, fille d’un pauvre gentilhomme, se distinguait plus qu’aucune autre par le contraste de sa physionomie et le calme de ses manières au milieu de ces Anglaises agitées. Toute sa personne portait l’empreinte du malheur noblement supporté, et l’on voyait qu’une tristesse habituelle pesait sur son ame. Bien qu’elle parlât peu, on était sûr qu’elle savait tout comprendre et sentir. Sa simplicité si gracieuse et avenante embellissait une dignité naturelle qu’on eût prise pour de la fierté,