Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.
125
SOUVENIRS DES AÇORES.

conservé le bleu foncé de la haute mer ; le ciel était de la même couleur. Entre les rochers du rivage et les montagnes couvertes d’oliviers sauvages se dessinaient une multitude de petites maisons blanches qu’entouraient des orangers et des arbustes qui m’étaient inconnus. Pour la première fois, j’étais charmé par le spectacle de la vive végétation du midi ; j’admirais la largeur des feuilles, leur verdure foncée ; mes yeux étaient éblouis de la multitude infinie des fleurs de toutes nuances. Mais les beautés de la nature causent une émotion plus vive que prolongée, et, une fois débarqué à Punta del Gada, tout occupé à examiner la ville, à regarder les maisons, à observer les habitans, leurs attitudes et leurs physionomies, j’oubliai la mer, le soleil et tous les végétaux. Je me trouvais dans une ville grande, riche, propre et pleine de grace. Au centre de la ville, le long de la mer, était une place de marché couverte de patates, d’ignames, d’oranges et de limons. Des paysans grands et forts, bien vêtus, mais sans chaussures, le cou et les épaules protégés contre l’ardeur du soleil par des basques de drap qui pendent de leurs coiffures, parcouraient la place en tous sens, un long bâton blanc à la main. J’étais frappé de la lenteur des démarches et de la vivacité des gestes. Ma curiosité fut surtout attirée vers les rues étroites et tortueuses qui de toutes parts viennent aboutir à ce large quai. Mes regards se portaient sur ces petites jalousies à treillages minces et serrés qui entourent tous les balcons. Chacun des panneaux, pas plus large qu’un petit carreau de vitre, s’ouvrait et se fermait rapidement sous la main des jeunes filles de la maison, accourues pour voir passer un étranger. Les doigts agiles semblaient presser les touches d’un clavier et faisaient bien un peu vibrer mon cœur. Cette petite jalousie se lève et se baisse d’une façon si capricieuse, cet œil noir paraît et disparaît avec une telle intermittence, qu’à vingt ans on a peine à ne pas se croire le héros de quelque aventure ; mais votre maîtresse inconnue disparaît tout à coup, et ce rêve d’un instant s’envole avec elle.

Saint-Michel a vingt-cinq lieues de long, et sa largeur varie entre deux et quatre lieues ; une arête de montagnes qui tient tout le milieu de l’île court de l’est à l’ouest, et s’abaisse seulement vers le centre, entre Punta del Gada et Ribeira-Grande, que rapproche la seule route transversale praticable aux voitures. Aux deux extrémités, l’île s’élargit un peu, et les montagnes, dans leur renflement, cachent de profondes vallées. Du côté de l’est, il en est une si bien couverte par les cimes qui l’entourent, qu’on se croirait sur un continent. On n’entend plus le murmure de la mer ni le sifflement des vents. Si ce