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SUR LA PARESSE.

Plus que votre bon sens ma déraison est saine ;
Chancelant que je suis de ce jus du caveau,
Plus honnête est mon cœur, et plus franc mon cerveau
Que vos grands airs chantés d’un ton de Jérémie.
À la barbe du siècle il eût aimé sa mie,
Et qui l’eût abordé n’aurait eu pour tout prix
Que beaucoup de silence et qu’un peu de mépris.


Ami, vous qui voyez vivre, et qui savez comme,
Vous dont l’habileté fut d’être un honnête homme,
À vous s’en vont ces vers, au hasard ébauchés,
Qui vaudraient encor moins s’ils étaient plus cherchés.
Mais vous me reprochez sans cesse mon silence ;
C’est vrai, l’ennui m’a pris de penser en cadence,
Et c’est pourquoi, lisant ces vers d’un fainéant
Qui n’a fait que trois pas, mais trois pas de géant,
De vous les envoyer il m’a pris fantaisie,
Afin que vous sachiez, comment la poésie
A vécu de tout temps, et que les paresseux
Ont été quelquefois des gens aimés des dieux.
Après cela, mon cher, je désire et j’espère
(Pour finir à peu près par un vers de Molière)
Que vous vous guérirez du soin que vous prenez
De me venir toujours jeter ma lyre au nez.

Alfred de Musset.