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de Mécène, le préfet de Rome et de l’Italie. C’était là un excellent calcul que faisait Horace, et ce calcul a été fait bien souvent depuis lui par les écrivains les plus habiles ; lui, cependant, il a eu l’honneur d’être le premier à établir ce qu’on appelle la vie littéraire. Il est le premier homme de lettres proprement dit de l’antiquité latine. Disons avec orgueil ces sages commencemens d’une profession illustre et excellente entre toutes, mais dont on a cruellement abusé depuis dix-neuf cents ans qu’elle a été établie par Horace, reconnue par Mécène, protégée par l’empereur Auguste.

Otium cum dignitate, un loisir honorable, tel était le vœu des meilleurs citoyens et des plus sages. Le repos, le loisir, une fortune suffisante, un beau petit coin de terre plein d’ombre et de silence, un peu de verdure loin du bruit et de la foule, tels étaient les rêves dorés du poète. Il voyait de trop près ces grandeurs éphémères pour leur porter envie. Il savait trop bien à quel prix s’achète la puissance, pour la désirer jamais. De son premier argent il acheta, à Tibur, une maison de modeste apparence, mais entourée de belles prairies, arrosée par un fleuve limpide, abritée par une douce colline chargée de vignes. Mécène avait une maison royale à Tibur. Catulle, le poète, fut un des hôtes de Tibur. Poétique petit coin de terre qui a caché dans son ombre transparente tant de poésie, tant de renommée, tant de passions, tant de bonheur !

En vérité, quand on se rappelle la façon charmante dont notre poète parle de Tibur, on se prend à regretter que son ami Mécène lui ait donné un domaine plus utile, le domaine de Sabine, cette terre qui composait une grande partie des revenus d’Horace. Cette ferme produisait du blé, du vin, des olives ; elle nourrissait de nombreux troupeaux, elle était située dans une vallée profonde qu’arrosait la Digence ; la maison était commode et d’un agréable aspect, elle recevait le soleil au midi et au couchant ; huit esclaves suffisaient cependant à l’administration et à la culture de ce domaine. — Enfin, pour compléter toute cette fortune, Mécène se rappela qu’Horace avait été tribun des soldats, il lui rendit les insignes de son grade et les prérogatives des chevaliers. Certes, voilà un poète digne d’envie. Une villa à Tibur, une métairie vingt lieues plus loin, l’amitié du maître, les honneurs et l’anneau des chevaliers sans vous compter, vous Lydie, vous Neera, vous toutes ses faciles et peu coûteuses amours. Ainsi il vivait sans chagrin, sans grand travail, sans autre souci que d’être appelé trop souvent au palais impérial. Croyez bien que rien ne manquait à son bonheur, pas même l’envie, pas même