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un plus haut titre qui eût été plus nouveau ; à ces causes, Mécène ne voulut pas entrer au sénat. — Vous avez vu que cet homme tout-puissant avait eu l’honneur des premières attaques de notre poète. Son premier mouvement fut de savoir quel était donc le jeune homme qui avait tant d’esprit et de courage, qui osait s’attaquer même aux amis d’Octave ? On lui répondit que c’était un des soldats de Brutus, un républicain farouche, un ennemi d’Octave. Je vous laisse à penser si le poète satirique fut maltraité à cette cour. — C’est grand dommage, se dit Mécène, c’est grand dommage. Et en effet il avait déjà deviné l’écrivain. Bientôt, comme vous l’avez vu, le satirique, à bout de ses colères, fit place au philosophe indulgent et disposé à tout pardonner. — Qui donc est-il ? demanda encore une fois Mécène (il avait reconnu l’épicurien sous le manteau troué de Zénon). — C’est un grand poète, c’est notre ami, c’est notre frère, c’est notre camarade des écoles d’Athènes, c’est le plus inoffensif des républicains, c’est le plus jovial ami de Brutus, répondirent ensemble Virgile et Varius. Nous vous en répondons comme de nous-mêmes, ajoutaient-ils. — Amenez-moi donc ce tribun des soldats, dit Mécène. — Et voilà nos deux amis qui s’en vont à la recherche du poète. Il était chez Lydie ! il était chez Néera ! il était à table, la tête couronnée de fleurs, la coupe remplie, une esclave à son côté ! — Viens, lui dirent-ils, viens, laisse là tes amours commencées ; viens, Mécène t’appelle, il veut te voir, il oublie ta première satire. — J’irai demain, dit Horace. — Huit jours après, il était au palais de l’empereur. Virgile et Varius présentèrent leur ami à Mécène. — Le voilà ! — Mécène trouva sans doute que le nouveau venu avait l’air d’un mal appris. Ses yeux rouges lui déplurent ; sa taille épaisse lui parut sans élégance et sans grace, sa qualité de tribun des soldats dans l’armée de Brutus lui revint en mémoire… et peut-être aussi la première satire. — Bref, Horace fut mal reçu chez ce grand seigneur qui devait être bientôt le plus illustre protecteur de sa fortune. Après quelques paroles échangées, ils se séparèrent à la façon de gens qui ne doivent plus se revoir. — « Quel malheur ! disait Virgile, il va se remettre à écrire des satires ! » Ah bien ! oui, des satires ! Il n’a pas le temps, il n’a plus de fiel, et d’ailleurs il est si amoureux !

En effet, quand on sut le mauvais accueil fait par Mécène au poète satirique, on s’attendait à de nouvelles satires ; Horace n’en fit pas. Il était pris par une passion nouvelle, la poésie lyrique. L’ode fermentait dans son sein, elle remplissait sa tête, elle agitait son cœur. Il pressentait l’avenir de cette poésie qu’il allait révéler aux Romains.