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HORACE.

embelli à grands frais la ville éternelle, mais il avait enseigné à ce peuple de soldats turbulens les douceurs de la paix, mais il avait cicatrisé les plaies horribles des guerres civiles, mais il avait mis en honneur le commerce, l’agriculture, l’industrie, toutes les sciences de la paix : le moyen de ne pas obéir à un maître si intelligent des besoins de son empire ? Il avait commis plus de crimes qu’il n’en fallait pour être exécré ; et ses vertus l’avaient lavé de toutes ces souillures. Sa volonté était sérieuse et forte, à ce point qu’il commandait même aux maladies de son corps. Il avait trompé tous ses amis les uns après les autres ; il fut un maître sincère et loyal. Il avait été un timide soldat ; il fut un très courageux politique. Les affaires du monde ne l’occupaient pas encore assez pour qu’il ne pût bien, de temps à autre, écrire sa petite épigramme, ou composer sa pièce de vers, car il était dans toute l’acception du mot, un bel esprit. — Après celui-là, le maître de tous, venait Agrippa le soldat. Agrippa avait passé sa vie dans les champs de bataille, il la passait maintenant dans les conseils. Après la joie d’agiter l’une contre l’autre des masses armées, il n’en savait pas de plus rare que de faire obéir des peuples sans nombre. Quant aux petits détails de la vie des cours, Agrippa eût dédaigné de les apprendre ; il est mort sans avoir entendu jamais un seul des vers de l’empereur son maître. — Restait Mécène, c’était le troisième dans l’empire, il était le premier dans l’amitié d’Auguste. Il s’appelait avec orgueil fils des rois, et dans cette république si fière ce titre-là était reçu à merveille. Autant Agrippa aimait la force, autant Mécène aimait la douceur ; l’un eût broyé toutes choses ; l’autre eût volontiers acheté à prix d’argent toutes les consciences. Agrippa renversait l’obstacle, Mécène le tournait. C’est que celui-ci croyait encore à la république, pendant que l’autre ne croyait plus qu’à la monarchie. Mécène avait pris pour sa part l’apaisement des esprits, la consolation des ambitions trompées ; l’opinion publique était le département de son choix ; il s’étudiait à ce qu’on aimât l’empereur, il le représentait à la ville, dans les provinces, au sénat, dans les conseils, dans le palais. Comme il savait par sa propre expérience la douce influence de la poésie, des belles-lettres, des chefs-d’œuvre dans les arts, il se faisait un devoir de les encourager, non pas comme un fils de roi, mais comme le confident du plus grand empereur qui ait gouverné le monde. Il aimait tant son maître, qu’il le suivait même à la guerre, où sa volonté ne le poussait pas. Il était le premier des chevaliers romains, tout comme M. de Montmorency était resté le premier baron chrétien, dédaignant