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que son corps fut livré à des cruautés abominables. Les Afghans lui coupèrent la tête, la mirent au bout d’une pique avec les lunettes vertes que portait le malheureux envoyé anglais, enfoncèrent dans sa bouche des morceaux de son propre corps, et, après avoir promené triomphalement ce trophée sanglant, l’exposèrent sur une des portes de Caboul.

Après le meurtre de Burnes et de Mac-Naghten, le commandement échut au major Eldred Pottinger, le même qui s’était rendu célèbre par la défense de Hérat. Il paraît que les Anglais restèrent encore huit jours dans leur camp, mourant de faim et de froid. Le major Pottinger finit par conclure une convention avec Ackbar-Khan. On ne sait ce qui fut promis aux insurgés, mais il fallut leur laisser en otages six officiers qui furent tirés au sort. À ce prix, les Afghans s’engagèrent à ne pas inquiéter la retraite des Anglais, qui quittèrent ce lieu fatal le 5 janvier. Pour gagner Jellalabad, ils avaient à faire quatre-vingt-dix milles dans les neiges et les montagnes, et à traverser ces terribles gorges dans lesquelles le général Sale avait failli être englouti. Il paraît qu’à dix-sept milles de Caboul il faut monter à la hauteur de onze cents pieds avant d’entrer dans le Khourd-Caboul. Là, il y a un défilé de six milles de longueur et de deux cents pas de largeur, et la route y passe vingt-trois fois la rivière qui donne son nom au passage. Tout le reste du chemin jusqu’à Jellalabad est une succession de montagnes et de rochers où quelques centaines d’hommes peuvent anéantir une armée. Ce fut dans cette voie fatale que s’engagea la malheureuse phalange anglaise. À peine fut-elle entrée dans les montagnes, qu’elle fut écrasée sans miséricorde par des ennemis presque invisibles. Les soldats n’avaient pas vingt cartouches, et il paraît qu’il y eut trois jours d’un affreux combat dans lequel il fallait charger à la baïonnette les rochers qui recélaient des ennemis invulnérables. Les femmes furent abandonnées, et une escorte d’Afghans les remmena à Caboul. Il y avait parmi elles quinze femmes d’officiers avec leur famille. On dit que la femme du capitaine Trevor avait avec elle sept beaux enfans anglais. Le général Elphinstone fut fait prisonnier : c’était un de ceux qui avaient été à Waterloo. Après la prise de leur chef, les soldats se débandèrent, se perdirent dans les rochers, et furent tués au couteau. Les restes de l’armée anglaise, de l’armée triomphante de l’Indus, furent égorgés comme des troupeaux ; et des cinq mille hommes qui avaient quitté Caboul, quelques-uns seulement parvinrent jusqu’à Jellalabad. Pendant ce temps, les troupes envoyées de l’Inde à leur secours, recueillant l’écho de leurs cris, attendaient en frémissant de l’autre côté des montagnes que le printemps leur ouvrît un passage à travers les neiges.

Les Anglais se souviendront de cette leçon. Ils n’ont pas encore vu dans l’Asie une révolte aussi soudaine, aussi unanime, aussi nationale. Pour la première fois, les Asiatiques se sont gardé leur foi ; il ne s’est pas rencontré un traître parmi eux. L’exécration de l’Angleterre, la haine du roi qu’elle leur avait donné, les ont ralliés en une seule nation. Dost-Mohammed est depuis deux ans prisonnier des Anglais à Loudianah. Il y a un fort parti