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REVUE DES DEUX MONDES.

Le 2 novembre, jour des Morts, « jour qui sera mémorable dans nos annales afghanes, » dit une relation anglaise, une insurrection terrible éclata dans Caboul. Une troupe d’insurgés commença l’attaque en se jetant sur plusieurs officiers qui traversaient la ville. L’héroïque Alexandre Burnes fut la première victime ; il fut tué à bout portant, comme il montait à cheval, par un Arménien qui avait été à son service. Son frère, Charles Burnes, fut massacré à ses côtés ; un autre officier fut taillé en pièces sous les yeux même du schah Soudja. Toute la ville fut bientôt en armes, les bazars furent pillés, les maisons forcées et saccagées, et l’attaque fut si soudaine, que les insurgés prirent possession de la ville et des magasins d’approvisionnement, et forcèrent les Anglais à se réfugier dans la citadelle ou le Boula-Hissar. Le schah Soudja s’y enferma, tandis que l’envoyé anglais, sir William Mac-Naghten, se retranchait dans un camp situé à cinq milles de la ville, et que commandait le général Elphinstone. Les Anglais avaient environ cinq mille cinq cents hommes, et, ce qui prouve la gravité de l’insurrection, c’est que, pendant deux mois qu’elle a duré, les assiégés se sont tenus constamment sur la défensive, sans oser une seule fois sortir de leurs retranchemens.

Cependant toute la campagne était en armes ; les tribus se soulevaient de toutes parts et venaient joindre les insurgés de Caboul. Le général Nott, qui tenait Candahar avec une forte garnison, détacha trois régimens indigènes au secours de Caboul ; mais ils ne purent traverser les neiges, ils allèrent jusqu’auprès de Ghizni, et, n’ayant plus ni bêtes de somme ni provisions, retournèrent à Candahar, laissant Ghizni et Caboul sans espoir de secours jusqu’au printemps.

Le capitaine Woodburn, parti de Ghizni avec cent trente hommes, et harcelé sur sa route par les insurgés, s’était réfugié dans un fort. Assiégé par quatre ou cinq mille hommes, il fit une sortie avec deux divisions, l’une menée par lui, l’autre par un officier indigène, et se jeta dans la mêlée. Il fut taillé en pièces, et toute sa troupe exterminée ; l’autre division chercha à se frayer sa route jusqu’à Ghizni, mais il n’en échappa que cinq hommes pour raconter le sort de leurs compagnons.

Un autre officier anglais, le capitaine Ferris, assiégé avec deux cent cinquante hommes dans un misérable fort qu’il défendait depuis plusieurs jours contre trois ou quatre mille Afghans, et n’ayant plus que vingt-cinq cartouches, prit aussi la résolution de passer au travers de l’ennemi. Il avait avec lui sa femme et sa sœur. On attacha les deux dames en croupe derrière deux indigènes, elles furent placées au milieu du carré, et, après une affreuse mêlée, la petite troupe arriva jusqu’à un autre fort, d’où elle put gagner Peschawer avec des guides.

Ainsi, partout les Anglais étaient cernés, traqués comme des bêtes fauves. Dans Caboul, l’insurrection s’organisait ; on avait, dit-on, proclamé roi un fils de Zehman-Schah, le frère aveugle de schah Soudja. Les communications étaient coupées entre les Anglais du fort et les Anglais du camp retranché, la ville était entre les deux, et au pouvoir des Afghans. Les secours envoyés du Candahar avaient rétrogradé, la brigade du général Sale, qui était à Jellalabad,