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HORACE.

où dînait Cicéron, Horace pouvait bien souper, ce nous semble. Et d’ailleurs, dans tous les temps, le poète et la courtisane se sont entendu à merveille. Tous les deux il sont les enfans du hasard : celui-ci vit de son esprit, comme celle-là vit de sa beauté. Ils dépensent, en vrais prodigues, les trésors naturels que Dieu leur a donnés, comme il a donné le plumage et le chant à l’oiseau. Ils sont les enfans de la même Providence ; — laissez-les s’accoupler ; laissez-les s’aimer et se reconnaître dans la foule. Quittez un instant vos illustres amours, vos passions opulentes, vos rêves d’ambition et de fortune, votre consul soupçonneux, votre sénateur jaloux, et venez à lui, vous toutes qu’il a chantées, vous dont le nom est immortel comme celui des Graces ! Neera, Pyrrha, Lydie, Glycère, Chloé, Tyndaris, Galatée, Phyllis, et vous, Cynnare, qui aimiez tant l’argent, et qui vous êtes donnée pour rien à votre poète, venez à lui ! Reposez-le de la satire ; faites qu’il oublie son innocente méchanceté de chaque jour ; protégez-le. Je vois là-bas une certaine dame romaine un peu vieille qui ne demande pas mieux que de se faire aimer d’Horace : venez, venez à notre aide, tendre Baryne, à notre aide, blanche Néobulée ! Il ne faut pas qu’Horace appartienne à cette dame qui pourrait être sa mère. C’est bien assez qu’il ait été l’amant avoué de Canydie, l’empoisonneuse, — Canydie qui vend des philtres ; — mais aussi comme il l’a flétrie ! mais aussi comme il s’indigne, rien qu’au souvenir de ces tristes amours ! Ce n’est pas ainsi qu’il aimait Chloé, une femme mariée cependant ; mais son mari n’était pas un citoyen romain ! Mais elle, elle était née en Toscane ! Mais son mari allait si souvent à la guerre ! Croyez-vous d’ailleurs que notre ami Horace, qui est déjà tant soit peu obèse, ait chanté, comme il le dit, sa plainte amoureuse sous les fenêtres de Chloé ? Pure fiction poétique, ou plutôt fiction amoureuse ; il n’a jamais chanté sous les fenêtres de personne, tant il avait peur de s’enrhumer. Et Pyrrha, comme il l’a aimée, Pyrrha l’infidèle ! Qu’elle était belle lorsqu’elle relevait sa blonde chevelure sur sa tête enfantine Mais un jour il la surprit avec le jeune Sybaris, dans cette grotte tapissée de lierre : elle ne songeait guère à Horace. Et Lydie ! Mais vous savez cette adorable comédie à deux personnages : nous lui-devons le Donec gratus, ce chef-d’œuvre de l’ode amoureuse dans tous les temps. De toutes les femmes qu’il a aimées, celle que nous aimons le plus, c’est Lydie ; et c’est justice : elle lui a inspiré ses plus beaux vers. Elle était la seconde femme qu’il eût aimée, car son premier amour, — comme tous les premiers amours, — avait été une duperie. Mais elle, elle ne l’avait pas aimé