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dans les affaires de l’Afghanistan. Dost-Mohammed, trouvant les Anglais fidèles à leur allié Runjet-Singh, et ne pouvant obtenir d’eux qu’ils achetassent son alliance au prix de la restitution de Peschawer, disait à Burnes : « Je n’ai plus d’espoir dans votre gouvernement, je serai obligé d’avoir recours à d’autres. Je le ferai pour sauver l’Afghanistan et pour mon propre honneur, et non par mauvais vouloir pour les Anglais. » Alors il adressa à l’empereur de Russie une lettre dans laquelle il lui disait : « Le gouvernement britannique me montre de mauvaises dispositions, et si votre impériale majesté voulait arranger les affaires dans le pays afghan et m’assister, elle ferait de moi son obligé. J’espère que votre majesté impériale me fera la faveur de me permettre d’être admis, comme les Persans, sous la protection du gouvernement russe. Je puis rendre, avec mes Afghans, des services utiles. » L’empereur de Russie répondit en promettant que, dès que le schah de Perse aurait pris Hérat, il enverrait de l’argent et des troupes à Dost-Mohammed contre Runjet-Singh, et qu’à son défaut, le gouvernement russe donnerait tous les secours nécessaires. Ce fut alors qu’un agent russe, appelé Vicowich, qui joue dans ces affaires un très grand rôle, et qui eut depuis une aventure très surprenante, arriva à Caboul, chez Dost-Mohammed, avec un envoyé persan. Alexandre Burnes y était déjà, et ces deux hommes, remarquables à juste titre, se trouvèrent en présence.

Ce ne fut pas sans répugnance et sans efforts que Dost-Mohammed se donna à la Russie. Il sentait que la force était, pour le moment du moins, du côté de l’Angleterre, que les Anglais seuls pouvaient l’aider à fonder et à maintenir une monarchie. L’influence de Burnes l’avait déterminé à faire une dernière tentative pour s’assurer l’amitié de l’Angleterre. Il avait même renoncé à sa haine héréditaire contre Kamram, et il disait à Burnes : J’oublierai la querelle de sang qu’il y a entre moi et Kamram, et j’irai avec mes meilleures troupes au secours de Hérat. Tout ce que je demande, c’est d’être garanti contre la colère de la Perse dont j’aurai refusé les offres, d’être protégé contre les agressions des Sikhs (Lahore) pendant mon absence, d’être reconnu par vous comme émir de Caboul, et de recevoir une subvention pour les troupes que j’emploierai à votre service. » Il ajoutait même qu’il ne parlerait pas jusqu’à nouvel ordre de la restitution de Peschawer. Burnes, se croyant sûr de l’appui de son gouvernement, avait tout promis. Dost-Mohammed voulait renvoyer l’agent russe Vicowich et l’envoyé persan sans les entendre, mais Burnes l’engagea à les recevoir et à prendre leurs dépêches. L’habile Anglais en prit des copies et les envoya à lord Auckland. Nous ne savons quelles furent les causes qui dirigèrent la conduite du gouverneur-général ; mais il paraît qu’il rompit toutes les négociations que Burnes avait conclues avec tant de peine et de succès, et lui enjoignit de déclarer à Dost-Mohammed qu’il avait agi sans instructions. La colère du chef afghan fut égale au découragement de Burnes, qui dut céder la place et la victoire aux agens de la Russie, et un traité fut signé entre les sirdars des Afghans et le schah de Perse, traité garanti par le comte Simonich, ministre russe à Tehéran,