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relatif aux chemins de fer, et que tel ou tel département n’obtienne pas le tracé et le rameau qu’il souhaite, qui peut dire quels seront les effets du mécontentement des électeurs ? Mais, d’un autre côté, que penserait la France tout entière de l’insouciance des chambres et de la mollesse du gouvernement, si tous ces projets, dont on fait tant de bruit, venaient à avorter, si les espérances qu’on a fait concevoir étaient encore une fois déjouées ? Si l’action peut être embarrassante pour quelques-uns, l’inaction serait nuisible à tout le monde ; une grande responsabilité morale pèserait sur les pouvoirs publics ; et la chambre des députés achèverait sa carrière sans avoir entièrement répondu à l’attente du pays.

Il faut donc surmonter tous les obstacles et accomplir dignement la tâche qu’on s’est imposée.

Il n’est bruit que des efforts de l’intérêt particulier pour exercer sur la question des chemins de fer une influence irrésistible. La commission de la chambre des députés garde le secret de ses délibérations, et on ne peut assez applaudir à cette résolution. Les chambres et l’administration ont un bel exemple, un grand enseignement à donner au pays, l’exemple d’une fermeté éclairée, l’enseignement d’une appréciation courageuse des intérêts généraux de la France. S’ils descendent jusqu’aux intérêts particuliers, s’ils se flattent de pouvoir contenter tout le monde par des transactions impossibles et par des expédiens ruineux, le pays ne tardera pas à reconnaître qu’on a mis en oubli ce qu’exigeaient impérieusement la puissance et la prospérité nationales. Que le gouvernement et la commission osent mettre la question dans toute sa lumière, sans ménagemens, sans faiblesse, et les efforts de l’intérêt particulier ne parviendront pas à obscurcir la vérité ni à paralyser d’utiles projets. Si au contraire l’administration hésite, si elle ne prend pas hautement l’initiative qui lui appartient, si elle se laisse entraîner d’un projet à un autre projet, d’un plan à un plan tout opposé, si chacun peut espérer de trouver en elle un certain appui pour ses idées particulières, tout sera perdu, et nous verrons peut-être adopter par voie de transaction des résolutions aussi singulières que celle qui a autorisé deux chemins de fer entre Versailles et Paris.

Ce serait une étrange pensée que de vouloir sillonner tout d’un coup la France entière de chemins de fer. Comme si d’énormes capitaux étaient oisifs dans nos coffres et ne cherchaient qu’un emploi ! comme si cette surabondance de capital était attestée chez nous par la baisse de l’intérêt, et que tout emprunteur solvable pût obtenir des subventions à deux et trois pour cent ! Le capital disponible est limité. Que les travaux soient exécutés par le gouvernement ou par des compagnies, que les salaires et les matières premières soient payés par le trésor ou par des caisses particulières, qu’importe ? Ils puisent tous à la même source ; sous forme d’impôt, d’emprunt ou d’action, ils prennent les capitaux là où ils se trouvent ; tous cherchent à les attirer ; nul ne peut en enfanter. Le travail et l’économie peuvent seuls créer du capital, et cette création est lente et progressive. Sans doute il est des hommes pour l’imagination desquels tout est possible. Ils font du capital avec du