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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

Le mariage de la reine avec un prince français serait sans doute pour nous la solution la plus brillante. C’est aussi celle que désire en première ligne le parti modéré. Dans d’autres temps, ce mariage eût été possible et même facile ; aujourd’hui ce serait une entreprise énorme, et dont les avantages ne compenseraient peut-être pas les dangers. Il y a d’ailleurs une raison décisive pour qu’il soit impossible. Cette raison, c’est que le gouvernement français n’y songe pas. Le temps est passé où Louis XIV mettait l’Europe en feu pour assurer à son petit-fils la couronne des Espagnes. Nous ne sommes plus aussi conquérans. Si la France avait eu la moindre arrière-pensée d’alliance, elle aurait soutenu plus efficacement la reine Christine. L’idée est venue d’Espagne et non de France. Le Journal des Débats, qui a quelquefois des boutades sur les questions extérieures, a adopté un moment cette politique aventureuse, mais il parlait uniquement pour son propre compte. Demandez-lui maintenant ce qu’il en pense, et vous verrez. Les exaltés espagnols et leurs amis les Anglais ne saisiront pas moins ce prétexte pour crier à l’insatiable ambition du roi Louis-Philippe, mais ils savent parfaitement à quoi s’en tenir.

Il serait fort à désirer que ce fantôme disparût de la polémique. C’est un de ceux qui peuvent le plus obscurcir cette question espagnole, naturellement si claire quand on la dégage des nuages accumulés à dessein. L’opinion publique en France ne serait pas très favorable à un pareil projet ; on ne peut donc, en le proposant, qu’ajouter au malentendu qui trouble déjà bien des jugemens. Le gouvernement français, qu’on n’en doute pas, s’exagère plus qu’il ne s’atténue les difficultés. Il croit que nous ne pourrions marier un prince français à la reine Isabelle qu’à la condition de nous mettre toute l’Europe sur les bras. Il pense que les mariages des princes sont bien loin d’avoir maintenant l’importance politique qu’ils avaient autrefois. Après avoir fait un roi d’Espagne, en supposant qu’on y parvînt, il faudrait encore le soutenir, soit contre les étrangers, soit peut-être contre ses propres sujets. De nos jours d’ailleurs, les nations suivent d’autres règles, pour se rapprocher ou s’éloigner, que celles des alliances princières. Qu’on se rassure : tout cela est compris, et si le mariage avec le duc d’Aumale est encore rêvé par quelques personnes, ce n’est pas par ceux qui ont de l’influence dans les conseils du gouvernement.

Si le mariage avec le duc d’Aumale n’a pas de chances, le mariage avec un archiduc n’en a pas heureusement beaucoup plus. Ce serait à peu près une déclaration de guerre de l’Europe à la France, et, quelque patient que soit notre gouvernement, nous ne le croyons pas d’humeur à la souffrir. L’Europe n’a aucun intérêt à nous pousser à bout. L’exemple que nous donnons en renonçant de nous-mêmes à mettre un prince français sur le trône d’Espagne, nous autorise à attendre et même à exiger une réserve du même genre de la part des autres puissances. Le gouvernement autrichien n’est pas plus entreprenant que le nôtre : si la force des choses lui amène cet avantage sans danger, il le prendra ; mais on doit croire qu’il ne fera rien de chan-