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HORACE.

dégradation des mœurs à l’oubli des vieilles lois, le nombre des courtisanes, les divorces sans fin, les excès auxquels se livraient les plus honnêtes gens, — témoin Caton d’Utique en personne, qui céda sa femme à l’orateur Hortensius, et qu’il épousa une seconde fois, lorsqu’elle eut été enrichie par son second époux. Il arrivait en-même temps à la Rome de l’empereur Auguste ce qui devait arriver au Paris de Louis XV : l’argent était le dernier maître de cet univers qui devait bientôt ne plus obéir à personne ; l’argent envahissait les ames et les corps, abaissant toutes les différences, faisant marcher la courtisane au niveau de l’austère matrone. Rappelez-vous Rome et ses portiques, rappelez-vous ces jardins superbes, ces longues promenades où tout un peuple était à l’abri ; figurez-vous ces femmes insolentes, portées dans leurs litières ou traînées en voiture dans toute la longueur de la voie Appienne. Leur tunique est à peine nouée. Elles montrent, à qui veut les voir, leurs seins nus, ou bien leurs bras, ou bien leurs épaules ; — elles ont pour tous et pour chacun un sourire, un regard, un bon mot. Ces sortes de femmes s’appellent les courtisanes. C’est un nom qu’on a bien gâté depuis. Ôtez ce nom-là, et dans cette belle compagnie flottante, dans ce pêle-mêle souriant de printemps blonds et bruns, vous retrouverez la grace, l’esprit, la galanterie et l’amour de la ville éternelle. La courtisane était née une esclave, mais, dès ses plus tendres années, par toute sorte de soins, d’artifices, d’enseignemens, de préceptes et d’exemples, elle avait été dressée au difficile métier de la coquetterie. On lui avait enseigné la danse, la musique, la poésie, la philosophie, tous les beaux-arts, aussi bien que toutes les licences. Telle compagnie de marchands d’esclaves avait joué toute sa fortune sur une seule de ces têtes adorées, et c’était souvent une spéculation à centupler dix capitaux. L’esclave, ainsi parée au dedans et au dehors, était produite en grand triomphe dans cette ville de désœuvrés et de millionnaires. Pour les débuts de cette passion nouvelle, on prenait autant de précautions qu’on en peut prendre aujourd’hui quand il s’agit de faire paraître quelque chanteuse de l’Opéra. Bientôt la ville entière était aux pieds de la nouvelle arrivée. Les plus beaux jeunes gens de la ville, les hommes les plus riches, les poètes eux-mêmes, — mais silence ! les poètes ne viendront que quand la dame aura fait son premier choix, — se la disputaient à outrance. L’un disait : « Je suis chevalier romain ! Voyez comme je suis jeune et beau ! Prenez-moi ! Je serai proconsul dans huit jours ! » — L’autre disait : « Je suis sénateur ! je suis consul ! je suis un des maîtres du