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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

pouvons bien être patiens à notre tour. Ce n’est pas que nous devions conspirer, nous aussi. Les complots sont, le plus souvent, de mauvais moyens qui tournent contre ceux qui les emploient. À chacun ses armes d’ailleurs. Les hommes d’ordre et de gouvernement sont des conspirateurs médiocres. Le dernier des exaltés en sait plus, en fait de trames, que le plus habile des modérés ; c’est à quelque chose de plus puissant et de plus sûr, à la réaction naturelle des idées et des intérêts, que les honnêtes gens doivent se confier. On a beau dire que l’état actuel des choses en Espagne est un état régulier, tout le monde voit bien qu’il n’en est rien, et que cette apparence de tranquillité intérieure n’est que le résultat de l’immense fatigue que dix ans de guerre civile ont laissée dans le pays.

Est-ce à dire pour cela qu’il soit question de s’attaquer en Espagne à la constitution et à la liberté ? Pas le moins du monde. S’agit-il de remettre la reine Christine sur son trône ? Pas davantage. Il s’agit uniquement d’attendre une situation qui ne soit pas, comme celle-ci, l’œuvre exclusive de l’Angleterre. Cette situation nouvelle arrivera nécessairement d’une manière ou de l’autre, car les Anglais se sont laissé engager bien loin. Ils ont beau faire aujourd’hui pour donner le change ; leur parti n’est pas le vrai parti constitutionnel en Espagne, c’est le parti ultrà-révolutionnaire. Le gouvernement qu’ils ont inauguré est le produit d’une insurrection militaire, c’est-à-dire de ce que les peuples libres doivent avoir le plus en horreur. Or, ne sait-on pas que le triomphe des partis violens et subversifs a été de tout temps essentiellement transitoire ? L’Espagne n’a pas sa révolution à faire ; elle est faite. Il ne s’agit plus que d’organiser, de régulariser les résultats de cette révolution. L’œuvre de conciliation entre le passé et l’avenir peut-elle avoir pour instrumens les hommes qui ont envahi le pouvoir en foulant aux pieds toutes les lois ? Depuis qu’ils sont en possession, ces hommes ont-ils doté l’Espagne des institutions qui lui manquent ? Ont-ils réformé la justice, créé l’administration, rétabli les finances ? Ils disent qu’ils le feront ; c’est ce qu’il faudra voir. Pour le moment, ils ne l’ont pas fait, et tout donne à penser qu’ils ne peuvent pas le faire.

Ils doivent aujourd’hui leur principale force à la funeste issue de la conspiration d’octobre. Ç’a été un bien triste et bien fatal épisode que cette échauffourée. Avant cette malheureuse tentative, le gouvernement du régent était faible, méprisé de ceux même qui l’avaient élevé. Aujourd’hui qu’il a résisté à une insurrection, il a pris un ascendant réel. Et cependant, Dieu sait combien il a peu mérité l’honneur que lui fait sa victoire. C’est l’imprévoyance de ses ennemis qui l’a sauvé. Jamais peut-être on ne montra plus d’audace, mais jamais aussi grande affaire ne fut menée avec plus de précipitation. Les cortès venaient d’enlever à la reine Christine la tutelle de ses filles. Blessés au cœur par ce nouvel affront fait à la mère d’Isabelle, quelques serviteurs dévoués se jettent inopinément dans une entreprise qui aurait dû être préparée de longue main. Leur indignation leur ferme les yeux sur l’absence des ressources les plus indispensables. Ils voient combien le