Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/1005

Cette page a été validée par deux contributeurs.
995
POLITIQUE EXTÉRIEURE.

tance en Espagne. Quand les Anglais virent leurs espérances déçues du côté de don Carlos, ils se tournèrent vers l’opinion dominante et cherchèrent à s’y donner un point d’appui. Les modérés s’étant déjà prononcés pour la France, ce fut aux exaltés que les agens anglais s’adressèrent. Bientôt ce parti qui manquait d’organisation en eut une, grace à l’activité, à l’intelligence et aux ressources matérielles de ses nouveaux alliés. Un coup de main fut tenté par lui, et réussit ; c’était le fameux complot de la Granja. Mais les vainqueurs n’étaient pas assez forts à eux seuls. Un moment surpris par cette brusque attaque, les modérés se remirent bientôt. Quelques mois après le scandale de la Granja, les élections, faites en vertu même de la constitution de 1812 et sous l’empire du ministère exalté, avaient rendu le pouvoir aux modérés. Alors les Anglais comprirent qu’ils avaient besoin de joindre au parti dont ils disposaient une nouvelle force. Ils jetèrent les yeux sur le pouvoir militaire. Aussitôt on vit des commissaires anglais accourir en foule au quartier-général d’Espartero et y jouer un grand rôle. Le généralissime s’étant laissé entraîner, on travailla activement à son élévation, et, avec l’aide de ce nouvel instrument, l’intrigue britannique parvint à ses fins. Pouvons-nous espérer de briser maintenant des liens ainsi formés, et qui ont profité également aux deux parties ?

Ce n’est pas en un jour que s’établissent les amitiés politiques. On peut dire que le gouvernement français aurait dû, lui aussi, nouer de longue main des relations avec le parti exalté et Espartero ; nais peut-on attendre raisonnablement que ces relations se forment avec eux du soir au matin, au moment où ils viennent de l’emporter par des moyens entièrement dirigés contre nous ? Quand on a été battu, il est très commode de passer à l’ennemi ; seulement il y a une condition préalable, c’est que l’ennemi veuille bien vous recevoir. Il peut sembler étrange que la France ait été battue en Espagne quand elle n’y soutenait personne ; c’est ce qui est arrivé cependant. Quand on a vu que nous nous tenions sur la défensive, on a pris l’offensive contre nous avec d’autant plus de vigueur. Plus nous nous séparions du parti qui invoquait notre appui, plus on affectait de le confondre avec nous. C’est la même tactique qu’on suit encore. Est-ce quand ce plan d’attaque a pleinement réussi que nous pouvons espérer de le faire abandonner par les vainqueurs ? Non ; il est trop glorieux d’avoir triomphé à la fois de la reine Christine et du roi Louis-Philippe, des modérés espagnols et du gouvernement français. On aime à poursuivre cette double victoire, et, après tout, on a raison. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Angleterre cherche à nous chasser d’Espagne ; elle y avait déjà réussi sous l’empire, elle vient d’y réussir encore. Depuis qu’elle a obtenu ce nouvel avantage sur nous, elle doit faire ce qu’elle peut pour le garder.

Maintenant est-il vrai que la France eût bien fait de s’entendre dès l’origine avec les exaltés et Espartero. Avec Espartero, c’eût été possible, et il est fort à regretter qu’on ne l’ait pas fait ; avec les exaltés, c’était impossible. On sait ce que c’est que le parti exalté espagnol ; on l’a vu à l’œuvre à plusieurs reprises, et on a pu l’estimer ce qu’il vaut moralement et politiquement. Les