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PROGRÈS DE LA RUSSIE DANS L’ASIE CENTRLE.

des Kirghiz-Kazaks. Aboulkaïr gouvernait alors la petite horde, et son influence s’étendait sur quelques tribus de la moyenne. Ambitieux à l’excès, mais assez habile pour ne pas s’abuser sur la faiblesse de ses ressources, le khan résolut de se servir de la Russie pour repousser ses ennemis du dehors et pour affermir sa domination dans les steppes.

Un simulacre d’assemblée publique, où ne parurent que ses partisans et plusieurs chefs de tribus séduits par le souvenir des promesses de Pierre-le-Grand, déclara qu’une soumission volontaire à la Russie pouvait seule conjurer les périls qui menaçaient d’anéantir la nation kirghize. Aboulkaïr fit aussitôt partir pour Saint-Pétersbourg une ambassade, qui vint, au nom du peuple entier des Kirghiz-Kazaks, déposer aux pieds de l’impératrice Anne l’hommage d’une perpétuelle vassalité, implorer sa protection, et promettre de combattre les Khiviens, les Karakalpaks, et les autres ennemis des czars. Le gouvernement russe, encore animé de l’esprit de son réformateur, saisit aussitôt l’occasion qui s’offrait à lui de reculer, sans coup férir, les bornes de sa domination. Les Cosaques, les Bachirs et les Kalmouks, nations sauvages et turbulentes, campées sur le territoire moscovite sans être soumises à ses lois, se jouaient sans cesse de la tactique des troupes impériales chargées de réprimer leurs fréquentes rébellions ; dorénavant les Kirghiz-Kazaks, habitués aux guerres de partisans, dont les défilés et les forêts sont le théâtre, ne serviraient-ils pas à faire rentrer dans l’obéissance ces voisins qu’ils avaient si long-temps combattus, et que la Russie leur opposerait de nouveau, si eux-mêmes se révoltaient ? Les sujets barbares de l’empire se tiendraient réciproquement en échec, et le sang de ses soldats ne serait plus versé que pour de grandes causes. Enfin, si, comme Aboulkaïr en prenait l’engagement, les Khiviens, les Turkomans et les hordes voisines de la mer d’Aral trouvaient en lui un ennemi redoutable, les caravanes, mises à l’abri du pillage, colporteraient dans l’Asie centrale les produits du commerce russe. Telles étaient les espérances du gouvernement de Saint-Pétersbourg ; il nous reste à voir comment il s’y prit pour parvenir à la complète réalisation de ce plan.

Les députés du khan retournèrent dans les steppes, comblés de présens pour eux et pour leur maître. En même temps, l’impératrice envoya auprès d’Aboulkaïr quelques officiers qui devaient recevoir son serment de fidélité, et un homme d’une grande habileté, Mourza-Tékelef, interprète au collége des affaires étrangères.

Aujourd’hui, comme à cette époque, à côté de la diplomatie russe,