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de l’Inde et de la Chine. Le commerce de transit, plus que tous les autres, est intéressé à s’ouvrir des débouchés, et comme la Russie est le seul pays où les Boukhares puissent écouler les richesses qu’ils ont en dépôt, leurs intérêts pécuniaires, auxquels ils sont extrêmement attachés, les amèneront, en dépit de leurs répugnances religieuses et de leur haine instinctive, à chercher les moyens de multiplier et de faciliter leurs relations avec Orenbourg, Astrakhan et Nijnej-Novogorod. Comme les Khiviens, ils ne connaissent pas d’autre mode de transport que les chameaux, et leur route, qui serait facile s’ils traversaient le khannat, s’alonge considérablement parce que des mesures fiscales et souvent des hostilités déclarées les forcent à éviter le territoire de Khiva. Si, au contraire, cette province était soumise à la Russie, la sécurité du trajet ne tarderait pas à donner une nouvelle impulsion à l’activité du négoce, et le Caboul et le pays de Kachemir, où les Boukhares font des achats considérables, deviendraient deux marchés qui réuniraient les produits des manufactures russes aux marchandises anglaises.

Le sultan de la Boukharie porte le titre d’Emour-el-Moumnénin ou de chef des croyans. Son pouvoir despotique ne laisse pas d’être contrebalancé par l’influence des ulémas, qui entretiennent soigneusement autour d’eux l’exaltation religieuse si naturelle aux musulmans et aux Orientaux. Comme leurs frères de Turquie, ces ulémas rassemblent dans leurs mains des attributions religieuses, judiciaires et administratives. Le Koran sert de loi politique, et le gouvernement de Dieu ne peut pas avoir ici-bas d’autres organes que les prêtres. Les ulémas possèdent seuls le dépôt bien léger de la culture intellectuelle de ces contrées. Sous la dynastie des Samanides et au temps d’Avicenne, Boukhara et Samarcande ont jeté un certain éclat. Aujourd’hui, comme en Gaule et en Italie, pendant l’invasion des barbares, l’activité des esprits ne s’y manifeste plus que par des discussions théologiques, et c’est un fait à noter que cette tendance des sociétés à affecter toujours les mêmes erreurs et les mêmes futilités aux époques de désastres et de décadence. À Boukhara, la médecine ne se distingue pas de l’empirisme, ni l’astronomie de l’astrologie. Le moyen-âge s’y est perpétué dans toute sa force. L’étude de l’histoire y est nulle, et, chose bizarre, le hardi conquérant que nos trouvères et nos troubadours ont si étrangement transfiguré, Alexandre-le-Grand, sous le nom asiatique de Ikander-Zoul-Karneïn, enflamme aussi les imaginations boukhares. Si l’on peut trouver quelque res-