Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/983

Cette page a été validée par deux contributeurs.
979
PROGRÈS DE LA RUSSIE DANS L’ASIE CENTRLE.

demi sauvages qui vivent dans les steppes, sans autres richesses, sans autre industrie que leurs troupeaux, il s’est reformé quelques petits états où l’agriculture, le commerce et les arts, ont acquis un certain développement. Les principaux sont le Khôkhan, le pays de Khiva et la Boukharie. Dans l’antiquité, ces provinces ont eu un moment de splendeur, et le commerce de l’Asie se faisait alors en grande partie par la mer Caspienne ; plus tard, il a eu des débouchés en Perse, en Syrie et en Égypte. En définitive, grace aux découvertes nautiques, l’Angleterre dispose à elle seule des richesses naturelles de l’Inde ; mais la Russie pense à les ramener, à son profit, dans leur première voie : telle est toute la question ; question pleine d’intérêt, non-seulement pour le pays, qui deviendrait ainsi le marché de deux mondes, mais encore pour l’Europe entière. La puissance de l’Angleterre réside dans sa marine et dans son commerce ; ces deux élémens de sa prospérité sont menacés à la fois par le projet de la Russie. Qu’il réussisse : en temps de paix, la vieille compagnie de la Cité ne sera plus sans rivale ; vienne la guerre, et une guerre maritime, l’Europe, approvisionnée par les caravanes, se passera des arrivages des navires britanniques. Bien que cet avenir soit encore éloigné, le tableau des relations de la Russie avec les provinces de l’Asie moyenne, en faisant connaître le chemin que cette ambitieuse puissance a déjà parcouru, donnera la mesure de ce qu’elle peut entreprendre.

Il ne sera pas sans utilité d’indiquer d’abord les limites et les conditions physiques de la région que les géographes ont long-temps désignée sous le nom fort inexact de Grande Tartarie, et que de savans voyageurs tels que Klaproth, Meyendorff, Levchine, préfèrent appeler simplement Asie centrale. Fixer ces limites, c’est aussi poser les bornes entre lesquelles les Russes exerceront certainement l’influence qu’ils doivent à leur position et à leur rôle de représentans de l’Europe et de la civilisation vis-à-vis de peuples arriérés et nomades. Le vaste plateau qui s’étend du nord au sud entre la Sibérie et les montagnes du Caboul et de la Perse, et de l’est à l’ouest, entre la chaîne de l’Oural, le fleuve de ce nom, la côte orientale de la mer Caspienne et la frontière occidentale de la Chine, comprend plusieurs provinces distinctes, que nous décrirons successivement, et dont la plus importante, quant à son étendue, est le pays des Kirghiz-Kazaks. Cette immense steppe, située entre les 55e et 42e degrés de latitude du nord au sud, et de l’ouest à l’est entre les 68e et 102e degrés de longitude, occupe toute la largeur de la Haute-Asie ; elle