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LA SALLE DES PRIX À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS.

conflit d’influences contraires qui se nuisent mutuellement l’une à l’autre, et qui enlèvent même aux plus belles choses une partie de leur beauté. Ainsi, M. Delaroche n’a certainement jamais rien créé d’aussi grand, d’aussi sévère que la partie centrale de son hémicycle. J’admets qu’on puisse désirer un peu plus de précision et de fermeté dans certains contours, un peu plus de distinction dans quelques têtes et dans quelques draperies ; mais les dispositions générales du groupe sont du plus bel effet, et la pensée qu’il exprime est écrite avec autant de force que de clarté. D’où vient donc que quelques personnes, bien à tort selon nous, trouvent que c’est là la partie faible du tableau ? D’où vient qu’elle leur semble plutôt froide que poétique ? Ce n’est pas, croyez-moi, parce que le peintre a fait intervenir le monde idéal au milieu du monde réel ; ce n’est pas parce qu’à côté de ce tribunal et de ces juges à demi divins, il nous fait voir des hommes qui marchent et qui parlent : non, c’est parce qu’une méthode différente semble avoir présidé à la conception de ces deux parties du tableau. Ici la méthode qui cherche le côté élevé des choses, le grand style, là la méthode qui se plie à toutes les variétés de la nature, le style pittoresque. Par leur voisinage immédiat, ces deux styles s’exagèrent l’un l’autre, et font outre mesure ressortir leurs différences : le naturel de l’un semble descendre à la familiarité, l’idéal de l’autre prend un aspect de roideur.

Si, au contraire, le même style régnait sur tout l’ouvrage, si ces hommes réels et vivans étaient un peu plus idéalisés, ceux-là surtout qui s’approchent le plus du centre du tableau, la transition deviendrait insensible ou du moins plus harmonieuse. Je ne demanderais pas pour cela qu’on me transformât ces bouillans artistes en statues impassibles ; non, mais qu’on s’attachât moins à reproduire certaines particularités, certains accidens que je regarde comme exclusivement pittoresques, pour s’attacher de préférence à l’expression des pensées et des passions. Ainsi j’ôterais peut-être à Jean Bologne ce mouchoir qui lui couvre la tête, Balthazar Perruzzi prendrait un air un peu plus relevé et ressemblerait moins à un simple maçon, Mansard ne se balancerait peut-être pas ainsi sur son banc en tenant son genou dans ses mains. Ce n’est pas que je ne trouve ces détails charmans, pleins d’esprit ; mais sont-ils bien à leur place dans cette imposante assemblée ? Ne détournent-ils pas l’attention plutôt qu’ils ne concourent à l’effet général ? Si au lieu de toutes ces scènes si gracieusement naïves qui viennent jouer, pour ainsi dire, autour de l’auguste tribunal, je voyais s’avancer quelques-unes de ces figures graves, sévères et