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sont là se racontant en confidence par quels artifices ils ont pu lutter victorieusement, les uns contre toutes les pompes de la nature, les autres contre toutes ses naïvetés. Plus loin, le théâtre s’agrandit : c’est Rubens, Van Dyck, Rembrandt, Murillo, Velasquez, l’honneur de la Flandre et de l’Espagne, qui écoutent la savante parole du Titien. Van Eyck lui-même prend plaisir à l’entendre, lui, le précurseur et le père de tous ces grands coloristes ; vêtu d’une de ces robes de brocard d’or dont son pinceau vigoureux rendait si bien les éblouissans reflets, il préside avec la majesté d’un doge cette brillante assemblée de famille. Debout à ses côtés, Antonio de Messine semble faire l’office d’un page soumis et docile ; on voit que depuis long-temps le vieux Flamand a pardonné au jeune aventurier de lui avoir dérobé son secret et de l’avoir colporté sous un ciel où il devait enfanter de tels chefs-d’œuvre. Pour écouter Titien, le sombre Caravage lui-même semble imposer silence à sa mauvaise humeur ; Jean Bellini, malgré son imperturbable gravité, se complaît intérieurement aux paroles de son illustre élève ; et quant à Giorgione, son admiration a quelque chose de guerroyant ; il se pose en spadassin, tout prêt à tirer la dague pour l’honneur du lion de Saint-Marc et pour la suprématie de son école. Paul Véronèse, au contraire, a l’air plus modeste et plus tolérant : à la manière dont il se retourne vers le Corrège, ne semble-t-il pas lui dire : « Avancez donc, et venez aussi nous raconter vos secrets, vous qui êtes lumineux comme nous, qui faites aussi de la couleur une éclatante satisfaction pour les yeux, et qui, de plus, avez trouvé moyen de la faire parler à l’ame. »

Nous ne terminerions pas cette description si nous voulions seulement indiquer tout ce qu’un tel sujet peut renfermer de pensées et d’intentions : nous avons même, chemin faisant, oublié beaucoup de figures, entre autres ces deux graveurs Edelinck et Gérard Audran, si finement jetés au dernier plan. Il est une foule de délicatesses que les yeux seuls peuvent saisir, et ce n’est pas avec des mots qu’on peut traduire une œuvre d’art. Si nous nous sommes arrêté si longtemps à cette analyse, c’est qu’il fallait montrer au moins par aperçu tout ce que ce travail exigeait de combinaisons, de calculs, d’esprit et d’habileté.

Sous tous ces rapports, je ne crois pas qu’il puisse s’élever la moindre controverse. Tout le monde conviendra que l’ajustement de tous ces costumes, l’enchaînement de tous ces groupes, le balancement de toutes ces lignes, révèlent une puissance et une souplesse de talent dont M. Delaroche avait assurément déjà donné des preuves,