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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Aussitôt que M. Guizot eut appris que la Porte avait obtempéré au vœu des puissances, il pressa lord Palmerston de signer la convention des détroits, sans attendre la réponse de Méhémet-Ali aux dernières concessions du sultan. Dans une dépêche du 11 juin, adressée à M. Bulwer, lord Palmerston explique les motifs de son refus[1].

« La conduite suivie par la France tend à encourager les prétentions de Méhémet-Ali ; car le gouvernement français, bien qu’il se dise prêt à signer la convention maintenant que le sultan a modifié son hatti-shériff, exige cependant que les quatre puissances déclarent que le traité de juillet a été pleinement exécuté, qu’il a atteint son but, et que rien ne peut désormais arriver qui mette les puissances dans le cas de délibérer sur les mesures à prendre pour assurer l’accomplissement des obligations écrites dans ce traité. Mais, si les puissances faisaient aujourd’hui une telle déclaration, qu’en résulterait-il ? Que Méhémet-Ali aurait le bénéfice des modifications opérées par le sultan dans les articles que les puissances lui ont conseillé de modifier, et que Méhémet-Ali aurait encore le bénéfice de son propre refus d’accéder à ces autres conditions du hatti-shériff que les puissances ont déclaré être indispensables… La France pourrait affirmer que, sur son injonction, les puissances ont relevé Méhémet-Ali des conditions distinctement spécifiées dans le traité de juillet. Ce serait pour les quatre puissances une humiliation à laquelle on doit résister. »

Cette dépêche annonçait clairement l’intention de recourir, sous un prétexte quelconque, à de nouvelles mesures de contrainte contre le pacha. M. Guizot ne dissimula pas l’étonnement qu’il en éprouvait ; mais la position qu’il avait prise à l’égard des puissances ne lui permettait pas de répondre avec plus de fermeté. Il se borna donc à faire ressortir les contradictions dans lesquelles tombait la politique anglaise. « On m’assurait, dit-il, le 10 mars, qu’aucune force d’aucune espèce ne pourrait désormais être employée contre Méhémet-Ali, et maintenant on me dit que l’emploi de la force est encore possible. Je ne blâme pas ce changement de langage, mais je le fais remarquer[2]. »

L’adhésion de Méhémet-Ali mit fin à ce débat. Le 10 juillet 1841, et pour servir de préliminaire à la convention qui devait placer sous la protection du droit européen le principe de la clôture des détroits qui joignent la mer Noire à la Méditerranée, les signataires du traité

  1. Dépêche de M. Bulwer à lord Palmerston, Paris, 18 juin 1841.
  2. La Russie approuva la conduite de lord Palmerston, ainsi que le prouve une dépêche de M. Bloomfield, datée de Pétersbourg le 19 juin.