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térêt. Aujourd’hui votre majesté met le comble à ses bontés pour moi en déclarant aux puissances qu’elle considère mon existence politique comme indispensable à l’équilibre européen. Cette nouvelle marque si signalée de l’intérêt que daigne me porter votre majesté m’impose des devoirs que je saurai remplir, et d’abord celui d’exprimer clairement et succinctement au roi de la France les motifs de ma conduite.

« Dans tous les temps, le vœu le plus sincère de mon cœur a été pour la prospérité de l’empire ottoman. Je désirais le voir heureux, tranquille et puissant ; mon ambition la plus grande a toujours été de lui venir en aide contre ses ennemis et de sacrifier pour sa défense tout ce que j’ai acquis péniblement par de longs travaux. Et, je le dirai ici avec franchise, ce qui m’a toujours porté vers la France, ce qui m’a toujours engagé à me conformer à ses conseils, c’est que je savais que, de tous les gouvernemens de l’Europe, c’était celui qui voulait le plus de bien et de la manière la plus désintéressée à l’empire ottoman.

« Je prie votre majesté de croire que c’est l’amour de mon pays qui a toujours dirigé ma conduite.

« Ainsi, après bien des efforts, bien des contrariétés, j’étais parvenu à faire régner l’ordre en Syrie, à faire succéder la paix et la tranquillité à l’anarchie et au désordre. Et si j’ai insisté si vivement pour que cette province restât sous mon gouvernement, c’est que j’avais la conviction que, si elle m’était enlevée, tous les maux que j’en avais extirpés retomberaient de nouveau sur elle. Entre mes mains, la Syrie était un élément de force qui me mettait à même de porter des secours au sultan et à la Turquie ; entre les mains de la Porte, j’ose le dire, la Syrie était vouée à l’anarchie, au désordre, à la guerre civile. Mais, aujourd’hui, ce que je craignais s’est en partie réalisé. L’influence étrangère est venue en aide aux élémens de discorde et d’insurrection. Une première tentative avait été impuissante pour faire soulever les populations ; cette fois-ci les efforts de ceux qui ont cru travailler pour l’intégrité de l’empire ottoman, en excitant à la révolte une de ses provinces, ont réussi, non à insurger tout le pays, mais à armer les unes contre les autres les populations, et à amener la guerre civile. Les motifs d’intérêt général qui me portaient à désirer de conserver la Syrie sous mon gouvernement, n’existent donc plus. Il reste mes intérêts personnels et ceux de ma famille ; ceux-là, je suis prêt à les sacrifier à la paix du monde. C’est à la haute sagesse du roi des Français que je m’adresse ; je mets mon sort entre ses mains, elle règlera à sa volonté les arrangemens qui doivent terminer le différend.

« Si votre majesté le juge convenable, je suis prêt à me contenter en Syrie du pachalik d’Acre. Ce pays a résisté à tous les efforts que l’on a tentés pour le soulever contre moi. Votre majesté trouvera juste peut-être de me faire laisser l’île de Candie, qui jouit depuis long-temps, sous mon gouvernement, d’une prospérité inaltérable.

« Mais si, au contraire, les hautes lumières de votre majesté la portent à croire que le moment des concessions est passé et que celui d’une résistance