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DE LA GUERRE SOCIALE.

si on a tant parlé du traité, ce n’est pas assurément sa faute à elle, car on ne parlait que d’elle en même temps. Le monde, si léger et si indifférent qu’il soit, ne se trompe guère à ce qui est très bien. Lorsqu’une œuvre puissante, marquée de beautés fortes, poétiques, chargée aussi de bizarrerie et d’excès, se pose devant lui, il peut la méconnaître ; mais, dès qu’une production parfaite se présente, il dit du premier coup : C’est cela ! Très peu de gens sont allés en Corse ; les mœurs de ce pays diffèrent des nôtres autant qu’il se peut ; elles sont souvent atroces, sanglantes, et le monde n’aime guère en soi l’atroce et le sanglant. Quand on lui en sert au théâtre ou en roman d’un air d’ogre, il hausse les épaules et tourne la tête de dégoût. Mais ici on ne s’y est pas mépris, on a senti au début que c’était vrai, que c’était amusant, que ces singularités énergiques jouaient dans leur cadre, qu’un guide aisé et sûr, et pas dupe le moins du monde, tenait la main. C’est alors qu’il y a plaisir à se laisser aller et à tenter l’aventure. Plus ce qu’on lit sort du cercle des habitudes, et plus on est charmé. L’audace vous gagne, le goût s’aguerrit. Le matin on a suivi Rob-Roy en son Écosse ; on se fait Klepte tout un soir, et l’on se jette dans le maquis du fond de son fauteuil.

Est-il bien que Colomba, pour exciter son frère, aille couper de nuit l’oreille au cheval qu’il doit monter le lendemain, lui laissant croire que ce coup vient des Barricini ? Je me rappelle toute une discussion très vive et en fort bon lieu là-dessus. Quelqu’un avait dit que c’était inutile, que l’effet sur Orso était manqué : on se récria. Quoi, inutile ? Mais c’est le trait de caractère, la singularité la plus naïve, la plus empreinte de vraie couleur. Dans sa superstition de vengeance, Colomba n’imagine rien de plus odieux, de plus ulcérant, que cette oreille fendue à la pauvre bête. Et puis, pour accomplir son stratagème, qu’elle est belle et féroce, se glissant sans bruit dans l’ombre le long de l’enclos ! telle la Simétha de Théocrite opérant sous la lune ses enchantemens.

Les voyages sont très beaux à faire, mais on ne les fait pas toujours, et il en est qu’on n’exécute bien que dans la jeunesse. Irez-vous jamais en Corse et dans le cœur du pays ? C’est douteux ; il y a mieux, aujourd’hui c’est presque inutile. Quelques heures d’aimable lecture vous en dispensent : vous avez Colomba. Lisez, et avec la fatigue de moins, avec les coups de fusil en idée, vous êtes revenu.

Le début est tout gracieux et légèrement ironique, une causerie spirituelle, assaisonnée de plaisant. On n’approche du sujet que par degrés, à travers un prélude ménagé ; on s’y apprivoise. Avec Co-