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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

structions suffisantes, il chargea M. Guizot d’aborder directement lord Palmerston sur ce point. Enfin, lord Granville étant revenu à Paris, le président du conseil reprit avec lui la même conversation. Les documens français qui expliquent ces négociations n’ont pas été livrés à la publicité. Une dépêche de lord Granville à lord Palmerston, à la date du 21 septembre, peut du moins servir à en préciser le sens et la portée.

« M. Thiers me parla des communications qu’il avait chargé M. Guizot de faire à votre seigneurie relativement aux négociations du comte Valewski à Alexandrie. Il exprima la confiance que les concessions qui avaient été obtenues de Méhémet-Ali amèneraient un arrangement pacifique, déclarant qu’il souhaitait d’autant plus que l’on profitât de ces concessions pour rétablir la paix entre le sultan et le pacha, qu’il les considérait comme le seul moyen d’épargner à l’Europe une guerre générale, dont nul ne pouvait prévoir les conséquences pour les puissances qui y seraient engagées.

« M. Thiers ajouta que l’acceptation de ces concessions n’impliquait pas le moins du monde le désaveu des conditions écrites dans le traité de juillet, et que, par conséquent, on ne pouvait pas se faire un point d’honneur d’engager les puissances signataires à repousser un arrangement fondé sur ces concessions. Le traité du 15 juillet stipulait que Méhémet-Ali recevrait le gouvernement héréditaire de l’Égypte et le pachalik d’Acre sa vie durant ; mais il ne condamnait pas la Porte à refuser à Ibrahim-Pacha la concession des pachaliks d’Alep, de Damas et de Tripoli. « Je ne doute pas, me dit M. Thiers, que le sultan ne soit disposé à conclure la paix à ces conditions ; mais, ayant signé le traité de juillet, il doit en référer aux autres parties contractantes. J’espère que vous voudrez bien faire part de cette conversation à lord Palmerston, dans des termes qui disposent votre gouvernement à prendre en considération les moyens qui lui sont suggérés pour aboutir à un arrangement pacifique[1]. »

« Je fis observer à M. Thiers que la question était de nature à ne pouvoir être décidée que par le concours de tous les signataires du traité. M. Thiers me répondit qu’il avait les meilleures raisons de croire (sans affirmer qu’il eût reçu aucune déclaration positive des gouvernemens de Prusse et d’Autriche) que les cours de Vienne et de Berlin ne feraient pas d’objection, et qu’en un mot la paix ou la guerre générale dépendait du gouvernement anglais. Le ministre ajouta que, si les concessions de Méhémet-Ali étaient sans résultat, il n’avait aucun espoir d’empêcher la marche d’Ibrahim sur Constantinople,

  1. En général, les agens de l’Angleterre ne se permettent de donner à leur gouvernement que les conseils qui leur sont demandés. Il y a pourtant cette différence entre les dépêches de lord Granville et celles de M. Bulwer, que le premier transmet les propositions pacifiques du gouvernement français avec des formes bienveillantes, tandis que le second, flattant les passions de lord Palmerston, a toujours l’air de dire : « N’acceptez pas. »