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mens qui apportassent des changemens essentiels à la force relative des puissances en Europe ; si, par exemple, une armée russe devait entrer dans l’Asie mineure et l’occuper pendant un certain temps, dans ce cas la France se considérerait comme étant libre de tenir la conduite que ses intérêts et son honneur pourraient exiger.

« Je lui répondis que nous étions à peu près d’accord, et que le passage du memorandum auquel il faisait allusion n’avait rapport qu’à ces mesures immédiates de contrainte qui avaient été souvent discutées entre les cinq puissances, et dont l’objet spécial serait d’obtenir l’assentiment du pacha aux offres raisonnables du sultan, ainsi que de garantir l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman. »

Voici la version que M. Guizot en donne lui-même, dans une note adressée, le 18 septembre, à lord Palmerston :

« Le soussigné se hâta de faire observer qu’il ne pouvait accepter cette expression dans aucun cas, et qu’il était certain de n’avoir jamais rien dit qui l’autorisât. « Le gouvernement du roi, dit-il alors à M. le secrétaire d’état des affaires étrangères, ne se fait, à coup sûr, le champion armé de personne, et ne compromettra jamais, pour les seuls intérêts du pacha d’Égypte, la paix et les intérêts de la France. Mais si les mesures adoptées contre le pacha par les quatre puissances avaient, aux yeux du gouvernement du roi, ce caractère ou cette conséquence, que l’équilibre actuel des états européens en fût altéré, il ne saurait y consentir ; il verrait alors ce qu’il lui conviendrait de faire, et il gardera toujours, à cet égard, sa pleine liberté. »

Le récit de M. Guizot s’accorde entièrement avec celui de lord Palmerston, et l’on peut en induire que tout ce qui a été dit à Londres par le représentant du gouvernement français impliquait que la France ne s’opposerait pas par les armes à l’exécution du traité. Lord Palmerston, de son côté, semblait admettre l’intervention armée de la France pour le cas où les Russes occuperaient l’Asie mineure, cas prévu cependant par la convention du 15 juillet. Il se faisait donc une espèce de compromis tacite entre le ministre anglais et notre ambassadeur, celui-ci donnant à entendre que la France assisterait l’arme au bras aux mesures coercitives, pourvu qu’elles fussent circonscrites aux côtes de la Syrie et de l’Égypte, et celui-là prenant en quelque sorte l’engagement de tenir les Russes à distance du théâtre des opérations. L’arrangement était tout à l’avantage de l’Angleterre ; il entrait complètement dans ses vues, Lord Palmerston avait toujours espéré, même en acceptant pour un cas donné l’intervention des Russes à Constantinople, que ce cas ne se présenterait point, et l’immobilité de la France était une chance nouvelle en faveur de son