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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

celle de l’Europe ; il renonçait à une politique consacrée par dix ans d’expérience et par l’assentiment de la nation, et cela sans consulter le parlement assemblé ! il faisait une révolution par surprise dans un état constitutionnel ! Comment aurait-il pu se montrer loyal envers la France, quand il ne mettait pas plus de loyauté dans ses rapports avec le peuple anglais ?

C’est ici le lieu de reconnaître que le gouvernement français a favorisé jusqu’à un certain point, par la complicité de son silence, la manœuvre de lord Palmerston. La France ne s’est pas séparée de l’Angleterre avec assez d’éclat ; elle n’a pas su avertir clairement l’Angleterre du danger auquel le cabinet de Londres exposait l’un et l’autre pays. Les notes officielles n’ont pas ressemblé, autant qu’il l’aurait fallu, aux conversations de M. Thiers avec lord Granville et avec M. Bulwer, ni à ces explosions de l’indignation royale se manifestant aux ambassadeurs des quatre cours. À quoi bon parler de paix et d’équilibre, quand l’escadre britannique serrait de près les côtes de la Syrie, et après cet acte du 15 juillet qui réunissait encore une fois, après vingt-cinq années de trêve, les coalisés de 1815 contre nous ?

Le mémorandum du 24 juillet, note que l’on trouvera ferme en la comparant aux précédens diplomatiques émanés de la France, ne paraît pas à la hauteur des circonstances dans lesquelles on venait d’entrer. Cette phrase : « Elle aura toujours en vue la paix et le maintien de l’équilibre actuel entre les états de l’Europe ; tous ses moyens seront consacrés à ce double but, » est beaucoup trop rassurante pour lord Palmerston ; la France n’avait pas à protester de ses intentions pacifiques au moment où l’on ouvrait les hostilités contre son influence et contre ses intérêts. La crainte que l’on avait de nous faisait notre force ; pourquoi détruire ce rempart moral de nos propres mains ?

Le mémorandum du 24 juillet a été, pour ainsi dire, écrit sous la dictée de notre ambassadeur à Londres. M. Thiers a dû le rédiger à la réception et sous l’impression de la dépêche du 19 juillet, dans laquelle M. Guizot s’expliquait ainsi :

« Je veux vous dire quels sont, à mon avis, pour le bon effet ici, les trois points qu’il est essentiel de mettre en éclatante lumière ; vous en jugerez :

« 1o L’esprit de paix orientale et européenne qui a présidé et qui préside dans tout ceci à la politique de la France ; 2o l’obscurité de l’avenir où l’on entre et la gravité des chances qu’on suscite par la politique que l’Angleterre vient d’adopter ; 3o la résolution où est la France de n’accepter, dans cet