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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

« Je ne me souviens pas d’avoir assisté ici à un évènement qui ait causé autant de satisfaction que la signature du traité par l’Angleterre, par l’Autriche, par la Russie et par la Prusse. Sans doute, la satisfaction eût été plus grande si le gouvernement français n’avait pas jugé à propos de séparer sa politique de celle des quatre puissances ; mais la détermination qu’a prise ce gouvernement de s’attacher à une ligne de conduite tracée pour son propre avantage prouve à tout le monde qu’en cédant à ce qu’il demandait, le continent se serait soumis, non pas à la volonté du gouvernement français, mais aux caprices de la presse française, car dans cette circonstance la presse en France a forcé le gouvernement à subir sa décision. Un tel état de choses n’aurait pas été long-temps supportable. » (Lord W. Russell à lord Palmerston, Berlin, 5 août 1840.)

Cette préoccupation perce dans les principales dépêches des agens anglais. Ils ne paraissent pas redouter le gouvernement de la France, qu’ils ont toujours trouvé de bonne composition ; c’est la presse française qui les effraie seule et qui les contient. M. Bulwer ne cesse de se plaindre à lord Palmerston des obstacles qu’elle jette sur sa route, et lord Palmerston charge lord Granville de porter ces plaintes à M. Thiers[1]. Pourquoi cela ? La presse française a-t-elle une puissance qui lui soit propre, et qui s’étende au-delà des chétives frontières que l’Europe a bien voulu nous laisser en 1815 ? Non certes ; mais, pour l’étranger surtout, la presse en France est la voix du pays ; elle a gardé les saintes traditions de notre nationalité, elle n’a pas accepté les traités de Vienne, elle n’a pas transigé avec la diplomatie, elle est toujours l’arsenal vivant des principes qui ont commencé l’émancipation de l’Europe, et qui doivent infailliblement l’accomplir. Voilà pourquoi les coalisés lui ont fait l’honneur de diriger contre elle leurs notes diplomatiques. Pour quiconque attente à l’influence de la France, la presse française est l’ennemi.

La tactique des puissances ne change pas après le traité de Londres. La Russie, qui avait fait mouvoir les fils de la coalition, continue à jouer la modération et le désintéressement. M. de Nesselrode tient un corps de troupes prêt dans la Crimée, il a une escadre à Sébastopol et une autre à Cronstadt, pour servir de réserve à la flotte anglaise.

  1. « M. Thiers m’assura qu’il avait essayé d’arrêter la véhémence de la presse et particulièrement les attaques personnelles contre votre seigneurie ; mais que les écrivains de ces journaux (bons citoyens, comme il les appelait) ressentaient vivement l’affront qui avait été fait à la France, quand on l’avait exclue de la part d’influence qu’elle avait le droit d’exercer sur les affaires de l’Europe, et que l’on ne pouvait pas les empêcher d’exprimer cette indignation. » (Lord Granville à lord Palmerston, Paris, 7 août 1840.)