Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/890

Cette page a été validée par deux contributeurs.
886
REVUE DES DEUX MONDES.

gens. Ce n’est pas signer un acte diplomatique, c’est tremper dans un complot.

Je considère le protocole réservé comme une mesure de la même famille que le secret observé à l’égard de la France. On voulait avoir le temps, ainsi que l’a dit M. Thiers, avant que la France fût prévenue, de donner l’ordre à l’amiral Stopford de brûler la flotte égyptienne. Il est certain que les instructions adressées à cet officier ont traversé Paris le 16 juillet ; lord Palmerston ne fit connaître que le lendemain à M. Guizot le fait du traité, et le gouvernement français n’en fut instruit que le 19. Le messager du cabinet britannique avait donc trois jours d’avance sur nos résolutions. On espérait surprendre notre vigilance, comme si ce n’était pas assez de tromper notre bonne foi.

Les instructions que l’amiral Stopford a dû recevoir de lord Minto, et qui autorisaient sans doute les excès commis en Syrie, n’ont pas été publiées par lord Palmerston ; mais on pourra juger de l’esprit qui avait présidé à la rédaction, en lisant la dépêche adressée au colonel Hodges par lord Palmerston, le 18 juillet. Le colonel Hodges était l’homme que lord Palmerston avait envoyé en Égypte pour insulter Méhémet-Ali, pour l’irriter par des querelles quotidiennes, et pour le pousser ainsi aux dernières extrémités. La dépêche du 18 juillet trahit, dans un langage brutal, l’enivrement qui possédait le ministre anglais, à la veille d’accomplir les projets auxquels il travaillait depuis plusieurs années.

« La seule chance de succès que Méhémet-Ali pourrait avoir serait l’assistance du gouvernement français ; mais la France ne l’assistera point. La France s’opposerait à une coalition hostile des cinq puissances, si ces puissances menaçaient d’envahir son territoire, d’insulter son honneur ou d’attaquer ses possessions ; mais la France ne se mettra pas en guerre avec les autres grands états de l’Europe, dans l’intérêt de Méhémet-Ali ; elle n’a pas, d’ailleurs, les moyens de le faire.

« La France a, il est vrai, une flotte de quinze vaisseaux de ligne dans la Méditerranée, et elle aurait bientôt ajouté trois vaisseaux à ce nombre ; mais ce sont à peu près toutes les forces navales dont elle peut disposer, et elle serait hors d’état de mettre en mer une flotte beaucoup plus considérable, même en cas de guerre avec l’Europe. La Grande-Bretagne, au contraire, dans le cas d’un conflit, mettrait en mer une flotte qui balaierait l’Océan.

« La France a maintenant soixante mille hommes dans l’Algérie, et pour envoyer des renforts, ainsi que pour remplacer les pertes dans cette armée, il faut qu’elle entretienne une force militaire qui soit la réserve de ses troupes africaines. Comment, dans cet état de choses, la France s’engagerait-elle sans nécessité dans une guerre avec les grandes puissances du continent ?