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DE LA GUERRE SOCIALE.

fortune est, en quelque sorte, réparée. Dirai-je qu’on reconnaît ici, sous la marche couverte et le procédé rigoureux de l’historien, un indice de cette sympathie qui l’a porté, en ses œuvres d’imagination, à suivre de près, à reproduire tour à tour le Corse, l’Illyrien, l’Espagnol en Fionie, les résistances héroïques et sauvages ?

La mort surtout de chacun de ces chefs indomptables a de quoi se graver dans la mémoire, par la manière dont l’historien nous l’a fixée. Le Marse Vettius Scaton est fait prisonnier dans une retraite : déjà on le conduit au consul. Un de ses esclaves, auquel personne ne faisait attention, marchait à ses côtés. Tout à coup cet homme, arrachant l’épée à l’un des soldats de l’escorte, en frappe Scaton et le tue sur la place : « J’ai affranchi mon maître, s’écrie-t-il avec triomphe ; à mon tour, maintenant ! » Et il se passe l’épée à travers le corps. — Un autre chef, Judacilius, s’étant jeté dans Asculum aux abois, voit d’abord qu’il ne peut s’y défendre, et que les habitans sont à bout. Il n’hésite pas ; il fait massacrer tous ceux de la faction favorable aux Romains, et à la suite d’un grand festin donné sous le vestibule du temple, lui-même, s’étendant sur le lit funèbre, il boit le poison : ses soldats allument le bûcher tout préparé, qui dévore en un instant, dit l’historien, le plus brave des Asculans et les dieux de sa patrie. Le vainqueur frustré n’aura rien des trophées du triomphe.

Mais c’est quand on est à la seconde ou plutôt troisième guerre sociale, à celle qui complique le retour de Sylla, et dans laquelle les seuls Samnites et Lucaniens indomptés tiennent tête jusqu’à la fin avec l’énergie du désespoir, c’est alors que l’intérêt grandit, et que le sujet, comme dans une dernière scène, se fait égal vraiment au cadre de l’empire. La pointe hardie de Télésinus sur Rome, sa victoire tout d’un coup arrachée, Sylla qui se croit perdu et qui est vainqueur par l’aile opposée, ces jeux sanglans, bizarres, du courage et du destin, fournissent un chapitre d’une haute beauté. Cinquante mille morts des deux partis étaient étendus sur le champ de bataille. « Long-temps, dit l’historien, on chercha Télésinus. On le trouva enfin percé de coups, mais respirant encore, entouré de cadavres ennemis. L’orgueil du triomphe se lisait dans ses yeux éteints, qu’il tournait encore menaçans vers Rome. Heureux si la mort le surprit tandis qu’il se croyait vainqueur ! »

Le frère de Télésinus et Marius, fils du grand, étaient enfermés dans Préneste. Ils tentèrent de s’échapper par un souterrain ; mais, ne l’ayant pu, ils ne voulurent pas laisser à leurs ennemis la joie de les voir mourir. « À cette époque, dit l’historien, la fureur des com-