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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

M. Thiers a parfaitement prouvé[1] que l’offre de restituer la flotte turque était un mouvement spontané de Méhémet-Ali, et que M. Périer n’avait été envoyé que pour déterminer le pacha, s’il était sérieux dans ses propositions, à modérer les exigences qu’il avait manifestées[2]. Mais, s’il était nécessaire de confirmer cette explication par un témoignage très peu suspect, lord Palmerston n’a qu’à consulter la correspondance du colonel Hodges, son consul-général à Alexandrie. M. Hodges écrit le 23 juillet :

« M. Périer a saisi l’occasion de m’informer hier au soir que la nouvelle de la proposition faite par le pacha de rendre la flotte turque, avait produit une profonde sensation à Paris ; et que le gouvernement français, pensant que le pacha était devenu moins inflexible dans sa politique, l’avait envoyé en Égypte avec ordre de s’efforcer de ramener Méhémet-Ali à la raison, en lui représentant que les cinq puissances (M. Thiers dit les quatre) étaient maintenant unies dans leur détermination sur la question égyptienne, et décidées à employer la force si la persuasion venait à échouer. »

Mais on pourrait croire que le colonel Hodges, en rapportant le dire de M. Périer, ne donne pas sa propre opinion ; il faut donc lire ce qu’il ajoute dans sa dépêche du 26 juillet.

« J’ai acquis la certitude que les propositions et les conseils portés par M. Périer au pacha, de la part du gouvernement français, ont été repoussés avec un sentiment qui ressemblait à de la colère. On dit qu’à peine présentés, le pacha les a rejetés aussitôt. M. Périer part demain pour Toulon.

« Le fait de l’inflexible détermination de Méhémet-Ali a été confirmé par une conversation subséquente avec le consul anglais dans ce port, auquel il a dit : « L’Angleterre ne veut pas voir en moi un ami de la Porte ; elle fera de moi un rebelle. Désormais je ne paierai pas au sultan un para, et je ne céderai pas un pouce de terrain. »

  1. Discours de M. Thiers, séance du 25 novembre 1840.
  2. Le langage que M. Thiers tenait devant la chambre sur cette mission n’a pas été inventé ou modifié pour la circonstance, car on lit dans une dépêche de M. Bulwer à lord Palmerston, sous la date du 17 juillet 1840 :

    « Je demandai à M. Thiers quel était l’objet de la mission de M. Périer en Égypte. M. Thiers me répondit que M. Périer avait été envoyé pour dire au pacha que, s’il offrait de restituer la flotte turque, il devait le faire sérieusement et de bonne foi, et qu’il devait céder au moins à la Porte Adana, les villes saintes et Candie. Pour ceci, dit M. Thiers, je crois que nous l’obtiendrons, quoique avec peine. Le langage que je tiens à Méhémet-Ali pour le décider à la soumission est aussi énergique qu’il peut être sans nuire à une influence que j’espère faire servir à la paix. En un mot, dit-il, à vous je parle en faveur de Méhémet-Ali, à Méhémet-Ali je parle en faveur du sultan. »