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Grande-Bretagne et à l’Europe entière le service le plus signalé, en mettant fin aux différends du roi de Naples avec le gouvernement anglais ; contre l’Égypte, lorsque Méhémet-Ali, faisant les avances d’une réconciliation, envoyait Sami-Bey à Constantinople et offrait de restituer la flotte au sultan. Ainsi, la paix que la France avait rétablie dans l’Occident, on la troublait sans provocation et sans motif ; la paix qui semblait devoir s’établir en Orient, on prenait les armes pour l’empêcher. N’était-ce pas déclarer la guerre au génie même de la civilisation ?

M. Thiers a exhalé, à la tribune et dans un entretien avec M. Bulwer, les plaintes que lui arrachaient ces procédés sauvages. Il était certes fondé à le faire. L’Angleterre, en signant le traité, ne manquait pas seulement aux égards qu’elle devait à la France et à cette bonne foi qui doit régler les rapports des gouvernemens, mais elle commettait un acte de la plus noire ingratitude, et répondait à un bienfait par un affront. En terminant la querelle de lord Palmerston avec le roi de Naples, le cabinet français avait rouvert au commerce britannique les ports de l’Italie. La sécurité renaissait dans la Méditerranée, et la flotte de l’amiral Stopford devenait disponible : c’est celle que lord Palmerston a dirigée sur Beyrouth.

La réponse de M. Bulwer aux plaintes du précédent ministère est bien dans les traditions anglaises ; c’est l’égoïsme élevé à l’état de théorie :

« M. Thiers me dit[1] que la convention du 15 juillet l’avait surpris (fell upon him) au moment même où il venait de terminer heureusement nos différends avec Naples. Je répondis à cette observation que j’avais reçu l’ordre exprès de le remercier, que je l’avais fait, et que je lui demandais la permission de le faire encore, pour l’habileté qu’il avait déployée et pour les sentimens de bienveillance qu’il avait manifestés dans le cours de cette négociation. J’ajoutai qu’il serait dans la plus grande erreur s’il pensait que le gouvernement anglais ne fût pas très sensible aux services qu’il lui avait rendus en cette circonstance, et ne mît pas un très haut prix à son opinion et à sa coopération en toutes choses, mais que de même qu’il était certains cas où la France ne pouvait agir autrement qu’elle ne le faisait, de même aussi il était des cas où la route que suivait le gouvernement anglais lui était pour ainsi dire prescrite. »

Ainsi, le gouvernement anglais, ayant reçu de la France un service considérable, se croyait dégagé de toute reconnaissance par un

  1. Dépêche de M. Bulwer à lord Palmerston, Paris, 27 juillet 1840.