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REVUE. — CHRONIQUE.

lui reste de dignité et de force morale. L’hiver va se passer en pourparlers, en explications, en intrigues, et des faits graves, si ce n’est décisifs, éclateront au printemps. Est-ce en présence d’un semblable avenir, lorsque les agens de l’Angleterre et de la Russie ne cessent de s’agiter en Orient, lorsque l’Angleterre redouble d’efforts pour s’assurer la route de l’Égypte, que nous pourrions songer sérieusement au désarmement de notre flotte pour économiser quelques millions et être ensuite obligés d’en dépenser le triple à la hâte et cependant trop tard ?

Une nouvelle révolution vient d’éclater en Suisse ; Genève, qui avait suivi jusqu’ici avec un rare bonheur la voie du progrès sans bouleversement, des réformes sans révolutions, Genève s’est lassée de son originalité, et a préféré imiter les autres cantons régénérés. Genève aussi aura dans quelques jours une constituante. Empressons-nous d’ajouter qu’heureusement il n’y a eu d’autre violence que quelques cris, et je ne sais quelles chansons. La milice, convoquée par le gouvernement, a mieux aimé rester chez elle, et laisser le gouvernement s’en tirer comme il pourrait. Il n’y avait rien là d’énigmatique. La milice, c’est le pays ; le gouvernement a cédé. Il aurait pu, à l’imitation de ce qui s’était fait dans quelques cantons, quitter les affaires, et laisser la révolution maîtresse absolue du terrain. Il ne l’a pas fait, et il faut lui en savoir gré. L’expérience a prouvé dans plus d’un canton que ces satisfactions d’amour-propre ne sont pas utiles au pays. S’il est encore possible de tempérer la fougue des novateurs par les lumières de l’expérience et l’autorité morale de longs et honorables services, pourquoi ne pas le faire ? Pourquoi ne pas le faire du moins tant que cela se peut avec quelque dignité, et qu’aucun crime ne vient déshonorer un mouvement qu’on peut encore essayer de rendre prudent et régulier !

À vrai dire, il est difficile de comprendre les motifs de cette levée de boucliers. Une révolution, une constituante, une refonte générale et soudaine de la constitution, à Genève, dans une république, où le gouvernement ne s’apercevait point, où la représentation nationale était de deux cent cinquante membres pour un canton de cinquante et quelques mille habitans, en y comprenant de nombreux étrangers ; où, pour être électeur et éligible, il suffit de payer trois francs par an, où le corps électoral comprend le quart de toute la population mâle, où les deux conseils sont composés en grande majorité d’hommes très respectables sans doute, mais qui ne brillent pas par une longue série d’illustres ancêtres !

La constitution de 1814 avait reçu successivement d’importantes modifications. Le conseil d’état, inamovible d’abord, avait été rendu amovible ; certaines élections privilégiées avaient été supprimées ; les séances du conseil représentatif étaient devenues publiques ; bref, le système des réformes successives et légales avait été adopté et pratiqué avec bonheur à Genève ; et il est difficile de croire que les conseils de la république eussent refusé de nouvelles réformes, si la nécessité et la convenance leur en avaient été démontrées. Disons plus : nous sommes convaincus que personne ne le croit. Dès-lors on