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recommence à deux, et que la voix du soprano le pique çà et là de petites notes cristallines. Dans Richard Cœur-de-Lion, le naïf touche par momens de bien près à la poésie ; ainsi je citerai la fin du premier acte. Lorsque Blondel a chanté son refrain de Grégoire, et que tous ont vaillamment fait chorus, on se retire, la nuit tombe, le faux aveugle s’assied sur une pierre, puis se lève, et va chercher un gîte, appuyé sur le bras de son jeune guide ; pendant que cette scène muette se passe sur le théâtre, l’orchestre reprend le motif de la chanson à boire qui vient de se chanter, et le travaille et le varie jusqu’au moment où le rideau se baisse. Il y a dans cette fin d’acte quelque chose de mystérieux et de calme qui donne à rêver ; c’est de la poésie à la manière du célèbre moriendo de la valse de Freyschütz, de la poésie trouvée trente ans avant Weber. Quant à l’air du second acte, Une fièvre brûlante, il faut voir là une de ces inspirations qui ne peuvent naître que du sentiment. Je ne m’étonnerais pas qu’un homme, sans être musicien, trouvât dans sa vie une phrase pareille. Il ne s’agit plus d’art, mais d’expression, mais d’ame et de génie. C’est plus que la musique, c’est la douleur même, c’est la souffrance de la privation dans l’amour, cette ardeur vague, profonde, indéfinissable, que les Allemands appellent Sehnsucht, et pour laquelle nous n’avons pas de mot dans notre langue. Masset dit cette cantate avec effusion et plénitude ; sa belle voix grandit et s’anime (quelle voix ne s’animerait en pareille occasion ?) et s’élève vers le milieu jusqu’au pathétique des larmes. Avec un peu plus de chaleur et d’enthousiasme dans l’air du premier acte surtout, Masset serait un excellent Blondel. Il y a de bons services à attendre de ce chanteur, qu’on laissait languir dans l’inaction ; il s’agit seulement de savoir l’employer. Acteur assez gauche, du reste, et tourné plutôt du côté de la pure expression musicale que vers le genre mixte dont MM. Couderc et Roger sont aujourd’hui les coryphées, l’ancien répertoire paraît lui convenir davantage, ce qui se trouve à merveille aujourd’hui que l’ancien répertoire est en veine de succès. Voici tantôt trois mois que la Dame Blanche, Richard Cœur-de-Lion et Jean de Paris remplissent tous les soirs la salle de l’Opéra-Comique. Certes, l’administration n’a qu’à se louer d’avoir pensé aux chefs-d’œuvre de Grétry et de Boïeldieu ; car, avec le seul secours des nouveautés qu’on lui apporte, les chances pouvaient mal tourner. Qu’est-ce, par exemple, que la Main de Fer ? Comment un musicien tel que M. Adam se trompe-t-il de la sorte ? Dans la fureur d’écrire qui le lutine, M. Adam ne recule devant rien ; tout sujet qui lui tombe sous la main sied à sa fantaisie, il s’en empare, quitte ensuite à répandre sa musique avec autant de négligence et de laisser-aller que les poètes en ont mis dans l’élucubration de leur chef-d’œuvre. De là, tous ces avortemens qui, du Fidèle Berger à la Main de Fer, n’ont cessé de se multiplier, et dont la somme envahissante finira, si le spirituel musicien n’y prend garde, par ensevelir tôt ou tard sa renommée. Entendez la Main de Fer d’un bout à l’autre, et dites, après cette rude besogne, s’il y a là autre chose que des lieux communs plus ou moins bien déguisés sous les artifices d’une instrumentation souvent ingénieuse. Quelle