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DE LA GUERRE SOCIALE.

militaires, soit pour se souvenir des Sidicins dans le sénat où les pauvres alliés ont tant besoin de protecteurs. La femme du consul veut se baigner. Le bain des femmes est mal orné, il ne lui convient pas. — « Je veux le bain des hommes, » dit-elle. Aussitôt M. Marius, principal magistrat de Téanum, envoie son questeur pour que la foule des baigneurs cède la place à l’illustre voyageuse. Mais il leur faut du temps pour se rhabiller, et la femme du consul attend un instant à la porte des thermes. Elle se plaint ; grande colère de son mari. Par son ordre ses licteurs saisissent M. Marius, et le battent de verges dans le forum. Cela se passait vers 630 ; » c’est-à-dire un peu plus de trente ans avant les représailles à main armée d’un autre Marius sous ces murs de Téanum. Mais on voit que M. Mérimée, dans ce nouveau cadre de l’histoire critique, ne s’est pas interdit son parfait talent de raconter[1].

Les vexations croissantes, tous les genres de griefs sourdement accumulés, les tâtonnemens législatifs impuissans, et les tentatives tribunitiennes coupées de tragique, remplissent quarante années préliminaires, durant lesquelles les guerres contre les Cimbres viennent jeter une puissante diversion, mais aussi de nouveaux fermens pour l’avenir. Les Gracques, Saturninus, Drusus, périssent tour à tour à la tâche, laissant des renommées plus ou moins équivoques après des destinées inaccomplies. Caïus Gracchus, je l’avoue, ne m’est pas suffisamment expliqué encore par les alternatives perpétuelles de témérité et d’indécision que dénonce en lui l’historien. C’est un caractère dont la clé ne me paraît pas retrouvée : elle est comme tombée à jamais dans ce gouffre du Forum rouvert sous ses pas. En terminant cette esquisse de la période qui précède la prise d’armes, et durant laquelle l’explosion put sembler à chaque instant imminente, M. Mérimée s’étonne à la fois et de la patience prolongée de l’Italie et de l’aveuglement de Rome ; il en retrouve plusieurs causes dans l’organisation politique, bien différente des deux côtés. Les gouvernemens d’Italie, tous plus ou moins aristocratiques, avaient peu changé de forme sous la domination romaine, et s’étaient comme pétrifiés au point où la conquête les avait saisis. La noblesse italiote, devenue cliente de Rome, ne fit long-temps de ses réclamations qu’une question personnelle, une affaire de faveur qui se menait par

  1. Le trait est tiré des Nuits attiques (liv. X, chap. III) ; Aulu-Gelle lui-même n’a fait que citer textuellement les courtes paroles de C. Gracchus. En comparant, j’ai mieux apprécié le soin achevé du narrateur et son art de mettre en scène sans en avoir l’air.