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REVUE MUSICALE.

la mesure. Il y a, au nombre des opéras bouffes italiens un chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre inimitable, éternel, le Mariage secret ; eh bien ! qu’on interroge les qualités par lesquelles se recommande la partition de Cimarosa, qualités toutes de sentiment, de tendresse, de passion, de mélancolie, oui, de mélancolie. Que pensez-vous du chef-d’œuvre de la musique bouffe, vivant dans l’avenir par la grace de Pria che spunti ! Au fond, c’est toujours la même pièce, la même extravagance : un mari imbécile qui court après sa femme, un poète rapé dont les poches regorgent de manuscrits, et qui chante le nez au vent et la plume à l’oreille, puis brochant sur le tout un admirable Turc de carnaval : voilà d’ordinaire les élémens d’où ressort le comique du genre. Qui connaît l’Italienne à Alger sait déjà par cœur le Turc en Italie ; c’est la même pièce, j’allais dire la même musique. L’Italienne à Alger a le trio de Papataci, le Turc en Italie a son duo des deux basses, excellent morceau taillé, comme celui de Cenerentola, sur le patron du fameux duo du Mariage secret, et que Lablache et Tamburini exécutent à merveille. En somme, si l’on excepte quelques passages pleins de caprice et de verve, la coda du trio du premier acte par exemple et le quintette du bal au second, cette partition a quelque peu vieilli ; vingt ans ont bien passé là-dessus, et l’opéra bouffe, tel qu’on l’entendait à cette époque, n’est plus dans nos mœurs. Nous en sommes aujourd’hui à la pastorale de Bellini, ou bien encore, si l’on veut, à ce genre charmant que Rossini adoptait pour nous lorsqu’il écrivait le Comte Ory, son dernier chef-d’œuvre avant Guillaume Tell. Le personnage de Geronimo, de ce bonhomme que sa femme délaisse pour un Turc, comptera comme une admirable caricature de plus dans le répertoire de Lablache. Campanone, don Magnifico, et le charlatan de l’Elissir d’amore viennent de trouver là un digne compère. C’est toujours cette perruque énorme et gigantesque, ce ventre copieux chargé de breloques retentissantes, cette corpulence de poitrine et de voix à laquelle nul sérieux ne résiste. On connaît l’art merveilleux que Lablache a mis de tout temps dans la composition de ses costumes ; on connaît ses coupes extravagantes, ses brocards à ramages, ses bas pailletés et ses écharpes d’or. Eh bien ! au troisième acte du Turc en Italie, le sublime bouffon s’est dépassé lui-même ; l’idéal est atteint. Il faut voir cette dalmatique bariolée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ce domino en manière d’habit d’arlequin dont le bonhomme s’affuble pour venir chercher sa femme au bal masqué ; il faut voir surtout ce gros nez rouge postiche, recourbé en bec de perroquet, pour comprendre jusqu’où le génie humain peut s’élever lorsqu’il s’est une fois lancé à travers le fantastique. À coup sûr Hoffmann envierait à Lablache l’idée de ce déguisement. Les débuts de M. Ronzi Debégnis, que le programme du Théâtre-Italien annonçait avec une certaine pompe aux premiers jours de la saison, se trouvent retardés pour le moment. À l’heure qu’il est, le nouveau ténor cherche sa voix, qu’il a perdue, dit-on, en arrivant à la barrière. En attendant que cette voix se retrouve, la Persiani, Lablache, Tamburini et la Grisi, feront prendre patience au public, et le répertoire peut compter sur M. de Candia, dont le succès inattendu est venu peut être aussi