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excluait dès l’abord toute idée d’une rivalité ambitieuse et vaine. Dans l’Arthur des Puritains, l’Edgar de la Lucia, l’Elvino de la Sonnanbula, M. de Candia ne trahit pas un seul instant la prétention de vouloir lutter avec les souvenirs de Rubini ; les passages que le maître a marqués de son empreinte, il se contente de les aborder avec réserve et modestie. M. de Candia ne cherche des effets que dans sa voix, et là sans doute est le mal ; un peu d’entraînement et de chaleureuse indépendance ne nuirait pas. On regrette souvent cette ampleur d’exécution que le prince des ténors italiens déployait avec tant de magnificence. Rubini chantait avec toute son ame ; M. de Candia ne chante guère qu’avec sa voix : mais tel est le charme indéfinissable, le métal sonore et pur de cette voix, qu’on s’y laisse aller volontiers, et que l’inexpérience même du jeune chanteur ne déplaît pas dans ces phrases dont Rubini semblait devoir emporter avec lui l’expression langoureuse et pathétique. — Norma nous a rendu la Grisi dans toute la splendeur de son talent et de sa personne. Décidément, les grands rôles tragiques du répertoire sont les seuls qui conviennent désormais à la belle prima donna ; là seulement son geste se développe en liberté, là seulement éclate l’harmonie de sa nature. Il faut à la Grisi la reine d’Assyrie ou la prêtresse d’Irminsul. L’embonpoint florissant qui s’épanouit en elle depuis quelques années finira bientôt par lui interdire tout-à-fait les caractères moins accusés. Belle dans les premières scènes de Norma comme l’Hélène antique, pleine de calme et de sérénité dans Casta diva, qu’elle chante d’une voix timbrée et pure comme l’or, elle s’élève aux plus beaux effets tragiques dans le trio qui termine le premier acte, et surtout dans le dernier finale, où Lablache la soutient avec tant de puissance et de majesté. Nous disions que la Grisi serait contrainte de renoncer tôt ou tard aux rôles de mezzo carattere ; mais alors que deviendrait l’Elvire des Puritains, que deviendrait cette adorable polonaise qu’elle vocalise comme l’oiseau, cette chanson de fiancée insouciante, la seule inspiration enjouée et badine que le mélancolique Bellini ait jamais eue peut-être ? Lablache, lui aussi, vient d’avoir son jour dans le Turc en Italie, pasquinade musicale du bon temps, bouffonnerie de vieille roche. En général, nous ne nous passionnons plus guère aujourd’hui pour l’opéra buffa. Notre dilettantisme élégiaque aime mieux les cantilènes langoureuses, les vagues mélodies au clair de lune du troisième acte des Puritains ou dans les caveaux funèbres de Lammermoor, et franchement notre dilettantisme n’a pas tort. La musique, art de sentiment s’il en fut, a son élément éternel dans la passion et le cœur humain, la musique touche de plus près aux larmes qu’à l’éclat de rire, et, si l’on y prend garde, on verra que ce qu’on appelle un opéra bouffe, dans la pure acception du mot, n’est, la plupart du temps, qu’une assez misérable rapsodie du genre de la Prova d’un opéra séria, où la musique se contente du rôle subalterne, où l’art abdique sa dignité pour accompagner les lazzis d’un grotesque. Rien n’est moins plaisant, à mon avis, qu’un trille de violon ou qu’un solo de cor ; d’ailleurs, en pareille occasion, on prend facilement le change ; l’orchestre va son train, et vous riez, et vous riez, sans vous apercevoir que c’est la perruque de Campanone qui bat