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du nord, Bologne compris, aurait été octroyé au roi de Sardaigne, ainsi forcément attiré dans notre alliance. Je crois que le roi de Naples devait prendre Ancône, si cela lui convenait. Il allait sans dire que nous avions le comté de Nice et la Savoie pour notre peine ; c’était le moins qui dût nous revenir de tant de triomphes. Je ne sais si de telles idées, mises en avant par ceux qui se disent conservateurs, sont de nature à garantir définitivement le repos de l’Europe ; je sais qu’elles inquiètent bien gratuitement les gouvernemens étrangers et nuisent à notre diplomatie. Pour moi, je les soupçonne de n’avoir au fond qu’un mérite dont plusieurs leur savent gré : c’est, en arrangeant un avenir qui n’engage à rien et où nous devons jouer un rôle si magnifique, de nous dispenser d’en avoir aucun dans le présent. Celui que la France peut jouer dès aujourd’hui en Italie, quoique infiniment plus modeste, me paraît cependant digne encore de son intérêt et de ses soins journaliers, les seuls qui portent des fruits. Il y a un contraste frappant entre l’état général de l’Europe et celui de l’Italie. Le pays qui a secoué le premier les ténèbres du moyen-âge et marché à la tête de la civilisation moderne, est maintenant le moins avancé dans les voies qu’il a lui-même ouvertes. Les biens dont il a fait le premier la conquête sont devenus le patrimoine commun ; il est presque seul à n’en pas jouir. Les populations les plus intelligentes sont les moins libres, les plus mal gouvernées, les plus pauvres, sur un sol dont la fertilité n’a pas d’égale. Il est impossible d’en imputer la faute à la dureté des gouvernemens, aux mauvaises dispositions des sujets. Les vices des institutions, la persévérance par entêtement ou par insouciance dans des systèmes erronés, maintenant jugés, voilà l’origine des souffrances communes ; elle est parfaitement connue. L’humanité supporte patiemment les maux qu’elle ne peut empêcher ; elle n’endure pas long-temps les maux dont elle sait les remèdes. L’expérience prouve que des circonstances imprévues viennent toujours à temps tirer les nations de ces situations impossibles. Ces changemens, quand ils sont brusques et complets, entraînent beaucoup de malheurs ; rois et peuples ne peuvent plus l’ignorer maintenant. L’Italie a son propre exemple ; elle a sous les yeux le spectacle de l’Espagne. Restent donc les chances d’un passage graduel et ménagé de l’état actuel à un état meilleur. Rendre possible un jour une transaction honorable et profitable à tous, telle est la tâche que nous devons nous proposer ; elle est difficile sans doute, mais nous n’y travaillerions pas seuls ; nous serions assurés de la sympathie et du concours de tous les bons esprits. Il y a un mi-