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ils sont en armes, on le sait, contre tout nouveau venu, surtout quand celui-ci se présente avec des titres brillans, acquis ailleurs. Il doit au préalable les faire oublier. Et moi aussi, dira-t-il au besoin pour être admis parmi eux, anch’ io… ; et moi aussi, je ne suis pas peintre. Au fait, chaque genre, chaque branche de l’érudition particulièrement est gardée par des dogues tant soit peu hargneux ; on les apaise, non pas en leur jetant des gâteaux de miel (gardez-vous de miel !), mais en leur offrant d’abord quelques petites pierres sèches. Quand ils ont digéré quelques-unes de ces pierres, ils disent que c’est bien, et vous laissent passer, même avec vos idées, avec votre trésor. Une fois passé, on n’a plus à s’occuper d’eux, et l’on va rejoindre les gens d’esprit d’au-delà.

Aujourd’hui donc que les preuves sont fournies, M. Mérimée n’a rien à dissimuler ; son esprit des mieux faits et sa plume des plus sûres restent libres ; il lui suffit d’observer, dans ses travaux d’érudit, la ligne sévère qui est de son goût et du bon goût propre au genre même. Les nouveaux sujets qui l’occupent désormais, promettent, non pas un mélange, mais bien un emploi uni et concerté de ses facultés les plus belles. Il prépare une histoire de Jules César. L’Essai sur la Guerre sociale, dont nous avons à donner idée ici, n’est qu’une espèce d’introduction par laquelle il a cru nécessaire de préluder.

Il est impossible, en effet, de se rendre compte du rôle et des desseins de César sans se retracer à fond l’état de la république, telle que l’avaient faite les dernières luttes de Marius et de Sylla. Or ces grands ambitieux avaient rencontré sur leur chemin des auxiliaires ou des adversaires dans les alliés latins et italiotes ; la lutte que ceux-ci avaient entreprise contre Rome, la guerre sociale, comme on l’appelle, était venue traverser et compliquer le duel flagrant des deux précurseurs de Pompée et de César. On a bientôt fait de dire que Marius représentait le principe populaire, et Sylla l’élément patricien ; que le plébéïanisme, depuis les Gracques, était généralement favorable à l’émancipation de l’Italie tout entière et à une égalité de droits à laquelle s’opposait le sénat ; que les Italiens s’armèrent pour conquérir par la force ce qu’on leur déniait avec iniquité ; que la guerre fut atroce et Rome plus d’une fois en danger ; que le patriciat, en triomphant même, en se relevant un moment par l’épée de Sylla, ne put guère faire autre chose que ce qu’aurait fait également l’autre parti s’il eût été victorieux, c’est-à-dire proclamer les concessions devenues inévitables et qui ne s’arrêtèrent pas là. Voilà le gros de l’évènement ; mais toute l’originalité, toute la vérité gît