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DE LA POLITIQUE DE LA FRANCE EN ITALIE.

piémontaise, et qui est assez forte pour avoir maintenu jusqu’à présent une séparation bien marquée entre deux populations soumises depuis vingt-cinq ans à une commune domination. Cette antipathie, très vive encore chez quelques membres de la haute aristocratie génoise, serait même une cause d’affaiblissement et de danger pour le gouvernement sarde, si la réunion, en même temps qu’elle a froissé les susceptibilités nationales, n’avait pas, par une compensation fort appréciée dans une ville aussi commerçante que Gênes, augmenté considérablement les affaires, et par suite le bien-être de toutes les classes.

L’organisation du pouvoir en Piémont est toute militaire. Les postes importans de l’état y sont aux mains des chefs de l’armée. Comme gouverneurs des provinces et des grandes villes, ils ont les autres autorités sous leur juridiction. Les fonctions purement civiles sont donc subalternes et moins considérées. C’est presque le régime d’un pays nouvellement conquis, ce sont les apparences d’un camp placé en face de l’ennemi. L’arbitraire le plus absolu règne sans contrôle du sommet à la base de cet édifice social. Aux premiers rangs et pour les positions élevées, cet arbitraire est tempéré par la dignité même du commandement, par un certain respect de soi-même et des droits acquis ; mais aux derniers rangs, et envers les malheureux placés trop bas pour avoir aucun recours, l’exercice en est souvent violent, fantasque, gratuitement tyrannique. L’action des autorités locales et secondaires semble y tenir des allures mélangées de la police et du corps de garde. Nulle part, parmi ceux qui sont revêtus de hautes fonctions publiques, on ne voit une préoccupation un peu vive, un peu intelligente, un peu efficace du moins, des intérêts et des besoins du pays. On dirait le gouvernement complètement et sincèrement persuadé qu’ayant pourvu par tous les moyens qu’il a cru utiles à la défense générale et à sa sécurité propre, il a rempli tous les devoirs et fait tout le bien qu’on avait le droit d’attendre de lui. Autant il s’est montré attentif en ces matières, et jaloux de cette portion de ses attributions, autant il en a négligé d’autres non moins nobles cependant et non moins utiles. Si l’on était tenté de s’étonner et de douter qu’une œuvre aussi compliquée que l’organisation bien entendue de la force publique ait pu marcher seule, sans amener après elle aucune autre amélioration, j’en donnerais une explication qui, mieux que tout détail, fera bien comprendre la situation actuelle du Piémont. Comme la plupart des princes de sa maison, comme toute la nation qu’il gouverne, le roi a les goûts et les