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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

d’autres tribus subjuguées, comme celle des Jukahires, par la Russie et contraintes à payer un impôt annuel. M. Wrangel cite entre autres celles des Tschuwanges, des Lamutes, et celle des Tunguses, qui est répandue au loin, et dont les voyageurs vantent la douceur de caractère et la moralité. Quand une jeune fille de cette tribu s’est laissée séduire, on lui bande les yeux, toute la communauté vient la prendre dans sa demeure et la conduit au milieu des champs ; là, elle s’avance, étendant les mains devant elle, et les branches du premier arbre qu’elle rencontre sont employées à la battre.

Le 19 novembre 1823, M. Wrangel, ayant complété la longue série de ses observations, quitte Sredne Kolymsk pour retourner à Pétersbourg. Cette fois, il est délivré des anxiétés continuelles que lui donnaient ses attelages de chiens : il voyage avec des chevaux, et il a pour l’accompagner une escorte de Jakutes étonnans par leur force physique et leur ténacité dans les fatigues. « Le Jakute, dit M. Wrangel, porte en voyage à peu près le même vêtement que lorsqu’il est chaudement enfermé dans sa demeure, et passe presque toujours la nuit en plein air. Une couverture de cheval étendue sur la neige lui sert de lit ; une selle en bois lui sert d’oreiller. Le dos et les épaules enveloppés d’une peau de renne, la poitrine presque nue, il se place près du feu, et, lorsqu’il sent le besoin de dormir, il garantit avec de petits morceaux de peau son nez, ses oreilles, se couvre le visage et se couche paisiblement. Dans la Sibérie même, on appelle les Jakutes des hommes de fer, et ils méritent ce nom. Souvent je les ai vus dormir presque sans vêtemens, sur le sol, par 20 degrés de froid. Ils sont doués d’une finesse de regard qui ne peut être comparée qu’à celle des sauvages de l’Amérique, et d’une mémoire locale vraiment incroyable. Quand ils traversent le désert, ils remarquent un buisson, une pierre, une ondulation de terrain, et ce sont là autant de signes qui les aideront une autre fois à retrouver leur route. »

Malgré toutes les précautions prises par M. Wrangel pour achever sans trop de peines son périlleux voyage, bientôt il en vint à regretter les nartes et les chiens qui l’avaient conduit sur la mer Glaciale. Le thermomètre était à 40 degrés. Dans un traîneau, il avait supporté plus d’une fois une telle température ; à cheval, elle était intolérable. Enveloppé, ou, pour mieux dire, emmaillotté dans sa double peau de renne, chargé de ses cuissards, de ses grandes bottes, de son lourd bonnet, il ne pouvait mettre pied à terre pour se réchauffer par le mouvement : il fallait qu’il restât à cheval quelquefois dix